nommer-classer

accueil, panorama

Cette petite page n'a pas la prétention de "traiter" ces délicates questions dans leur ensemble. Elles font l'objet d'innombrables traités érudits. J'y ai juste précisé quelques points qui me paraissent nécessaires pour aborder ces questions avec ouverture d'esprit.


Plan


1 . Nommer : une question de nomenclature : les espèces* vivantes portent deux noms latins : un nom de Genre et un nom d'espèce.

* en biologie on nomme les espèces animales (voir partie 2) alors que les hommes se nomment comme individus (voir le chapeau d'anthropologie sur la page de 1èreES ou 1èreL sur la lignée humaine).

Une nomenclature
est une liste de termes d'une discipline.

 


Carl von Linné (1707-1778)

La nomenclature des espèces vivantes désigne donc plus spécifiquement les noms des espèces vivantes.

Le premier point, qui peut surprendre, est que le nom d'espèce ne se donne pas seul : il est toujours précédé par un nom de genre. Toute individu à donc deux noms (c'est donc une dénomination que l'on qualifie en latin de bi-nominale = deux-noms) inséparables pour désigner son espèce.
On garde actuellement la
nomenclature binominale étendue par Linné au XVIIIème siècle à l'ensemble des êtres vivants (Systema naturae, 1735, édition de 1766 accessible sur le site Gallica-BNF): le premier nom, ou nom de genre prend une majuscule, le second nom, ou nom d'espèce, prend une minuscule; les noms sont latinisés et écrits en italiques. L'homme par exemple est nommé Homo sapiens. Le nom est souvent choisi par les découvreurs de l'organisme à partir de particularités de l'organisme ou du lieu de découverte ou alors le nom est donné en hommage à une personnalité.


Contrairement à l'opinion commune, la nomenclature proposée par Linné n'est pas à proprement parler la nomenclature binominale (qui était pour lui un concept marginal : celui des "noms" triviaux") et ses contemporains ne s'y sont pas trompés : son travail de nomenclature remet l'espèce dans le débat ontologique (voir ci-dessous encadré orange et Qu'est-ce qu'une espèce ?).

Pour la zoologie:
International Code of Zoological Nomenclature
http://www.iczn.org/iczn/index.jsp

Pour la botanique:
Code international de nomenclature botanique (de Saint Louis)
http://www.tela-botanica.org/page:code

* taxon: élément d'une classification (la taxinomie est la science des classifications).

Nom d'espèce complet de l'homme : Animal, Vertébré, Mammifère, Primate, Hominidé, Homo sapiens?
les deux derniers termes constituent le nom simplifié


En fait, le nom d'espèce d'un individu ne se résume pas à deux termes qui constituent un nom simplifié. Chaque être vivant s'insère dans la communauté vivante par son appartenance à des catégories supérieures qui regroupent des organismes voisins; en cela la nomenclature est inséparable de la classification. Si l'on veut être précis un nom d'espèce doit donc reprendre toutes les catégories taxinomiques supérieures jusqu'à l'espèce.
Actuellement il y a 7 niveaux (pouvant être divisés en sous-niveaux ) : Règne
(royaume) - Phylum (Embranchement) - Classe - Ordre - Famille - Genre - Espèce).
La nomenclature actuelle est linnéenne dans le sens où elle conserve la hiérarchisation des groupes de taxons* proposée par Linné, bien que les noms et divisions proposées par Linné aient été depuis longtemps remplacés par d'autres.


Récemment, à la suite du développement du cladisme (voir ci-dessous), des changements importants de noms ont eu lieu. Le point essentiel, sur lequel TOUT LE MONDE S'ACCORDE, est de n'utiliser des noms de catégories que s'ils désignent des groupes monophylétiques (et donc des clades) : par exemple les termes de Reptiles ou de Poissons ne sont donc plus utilisés comme niveaux hiérarchiques, même s'ils gardent un sens courant utile. Refuser leur usage à l'école primaire ou en collège relève à mon avis d'une certaine rigidité.


Certaines personnes tentent de promouvoir une nomenclature non-linnéenne, sans hiérarchisation des regroupements de taxons, pour assurer une ressemblance superficielle avec la méthode cladiste : le phylocode.

Les mots "genre" et "espèce" ont un riche contenu philosophique

Il est courant que l'on identifie trop rapidement les termes genre ou espèce des philosophies, comme celle d'Aristote, avec les catégories classificatoires linnéennes. Si les liens sont manifestes (du fait historique du choix des termes par Linné), il faut se méfier d'une lecture trop rapide: l'espèce de Thom ou d'Aristote (eidos) est plutôt, pour un esprit moderne, la forme. René Thom emprunte à Aristote le Genre, (que l'on peut se représenter comme un arbre infini qui à partir d'un individu donne une infinité de descendants... et qui ressemble à un continu : selon les mots d'Aristote : «Genos hos hylè» : le genre est «comme une matière»). Il l'oppose à l'espèce (eidos) , sous-division du genre (Thom la compare à une sous-variété - mathématique: si le genre est considéré comme un espace euclidien; «en codimension 1 elle sera définie comme le lieu d'une fonction locale régulière appelée par Aristote la différence spécifique»).


C'est pour cela que dans ce cours j'ai tenté un rapprochement de l'espèce, catégorie classificatoire, avec le genre (aristotélico-thomien), continu (voir Qu'est-ce qu'une espèce ? - partie 2).

Références Œuvres complètes de René Thom (CD-Rom IEHS)
-1995f5.pdf par exemple
- et surtout 1997i.pdf Document 3


2. Avec l'évolution, il existe une classification naturelle phylogénétique des espèces

Une classification est une répartition en classes, groupes ou catégories d'éléments partageant un ou plusieurs critères.

Classification naturelle objective ou classification artificielle subjective

Avec Linné et Buffon deux visions s'affrontent:
« Dans le premier cas (Linné), les espèces, discrètes, peuvent être nommées et leur définition passe exclusivement par la nomenclature (rejet de l'image), qui a force ontologique ; créées par Dieu, elles n'ont rien de commun avec l'humain et refusent donc tout ce qui ressortit à la rhétorique (rejet des figures de style). Dans le second cas (Buffon), les espèces, prises dans un continuum, ne peuvent être nommées qu'artificiellement, sans aucune dimension définitoire ; fruits de l'esprit humain appréhendant la nature, elles ne peuvent être mieux approchées et définies que par le discours humain, dont une des caractéristiques est la rhétorique et le recours à l'image sous toutes ses formes, picturale et linguistique (intégration des figures de style). La « nomenclature » est alors analogique de la « langue de la nature » et tout le débat se résume à deux positions : « réduire la langue de la nature au système » ou « réduire le système à la langue de la nature ».»


Colloque : Les mots et les choses au XVIIIe siècle : la science, "langue bien faite" ?
21-22 septembre 2007 ; Université Lyon 2
http://www.buffon.cnrs.fr/ blogbuffon/ index.php/2007/ 02/20/10- les-mots-et-les-choses -au-xviiie-siecle- la-science-langue -bien-faite


Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon (1707-1788)
Par François-Hubert Drouais.

La distinction faite ici entre continuum et discrétisation des espèces, me semble différente de ce que certains épistémologues et historiens des sciences (voir par exemple l'article "Classification du vivant" dans l'EU2009 par Pascal Duris et Pascal Tassy) croient pouvoir présenter comme une opposition entre une "nature continue" (qu'ils rapportent paradoxalement à l'image d'une échelle) et une "nature discontinue" (qu'ils rapportent douteusement à une conception plus ou moins créationniste). Pour moi il est clair que c'est la continuité de l'espèce qui est en jeu et non le concept de nature (voir ci-dessous). La nature n'est pas un continu, que ce soit au niveau moléculaire, individuel ou encore populationnel.... il y a plein de niveaux de discontinuité en elle.
Vis-à-vis du rôle de la classification des espèces, je crois comprendre que la question fondamentale porte davantage sur la signification du langage, et donc sur la différence entre une classification naturelle, objective, et une classification artificielle, subjective, plutôt que sur un niveau de réalité sur lequel la plupart s'accordent.


Qu'est-ce qu'une espèce ?

Toute classification phylogénétique est naturelle

Depuis l'avènement de l'idée d'évolution on peut penser que le problème est résolu.

Que se soit avec la vision vitaliste de Lamarck ou celle de l'évolutionnisme socio-politico-biologique de Darwin, les classifications des espèces vivantes sont désormais phylogénétiques, c'est-à-dire qu'elles s'efforcent de rendre compte de l'évolution des espèces (et donc des liens de parenté entre elles).

La phylogénie (de phylum = la lignée), de science du développement et de l'évolution des êtres vivants, est devenu pour beaucoup simplement l'histoire généalogique de la vie. Dans ce cas la phylogénie est une et c'est un travail d'historien que doit faire le paléontologue (même si ce travail se fait avec un tout autre type d'archives que celles de l'histoire).

L'évolution a donc ainsi résolu le problème de la pertinence d'un ordre classificatoire puisqu'il suffit de représenter un ordre historique. Tout le monde peut donc s'accorder et dire qu'il existe une classification naturelle qui est phylogénétique.

Mais c'était sans compter sur les inattendus de l'histoire. Par un tour de passe passe comme l'histoire en recèle tant d'autres, certains en sont revenus à nier la présence d'un ordre naturel en réintroduisant le hasard comme mécanisme de l'histoire du vivant principalement dans la théorie synthétique de l'évolution.


 
Jean-Baptiste Monnet, chevalier de Lamarck (1744-1829)

 

Pour une approche érudite de l'histoire des classifications jusqu'au début du XXème,, je conseille un texte d'André Pichot: Définir, décrire et classer en biologie, Delagrave 2005

Le sens de l'histoire

Sans prétendre trancher cette question, je crois que l'on peut affirmer que les luttes ont continué à cause d'un profond désaccord sur le sens de l'histoire.


* Pour une grande majorité d'historiens, l'histoire s'occupe de vérité, et les connaissances historiques atteignent la vérité de l'homme (pour l'histoire humaine) ou celle de la nature (pour l'histoire naturelle). Je fais partie de ceux qui, sans pouvoir être classés dans une catégorie unique - certainement pas celle de l'essentialisme, qui est brandie par certains relativistes médiatisés -, considèrent que le monde réel est donné et suffisamment extérieur à l'homme pour qu'il puisse considérer des connaissances universelles et un ordre naturel; pour nous il existe un ordre dans la nature qui est donné à l'homme et non fabriqué par lui, même si toute classification reste une construction humaine. Ceci se rapproche de la position ontologique de Linné. Pour Linné, le genre et l'espèce étaient les seules catégories taxonimiques naturelles (permettant de rendre compte de la place d'un taxon dans la nature; place qui repose d'une part sur un ordre (harmonie structurelle) et d'autre part sur une organisation vivante (harmonie fonctionnelle), ce qui tempère le fixisme que l'on reproche en quelque sorte à tort à Linné - voit André Pichot ci-contre). De nos jours c'est l'espèce qui représente habituellement la forme naturelle de l'être vivant (position peut-être justifiée, consciemment ou non, par le fait que la définition de l'espèce repose encore souvent sur le critère d'interfécondité, qui semble être expérimental...; c'était notamment la position de Buffon dans sa critique de la classification linnéenne et qui s'appuyait sur la conception de Leibnitz de la nature comme continuum).
* Pour d'autres personnes, peut-être héritières du scientisme
(mais là encore il y a de nombreux courants et l'on ne peut pas regrouper toutes les positions sous une seule bannière...), l'histoire n'est qu'une histoire faite par l'homme pour l'homme et il n'existe pas d'histoire objective. Cette position se retrouve chez certains scientifiques et est voisine de ce que je crois pouvoir appeler un relativisme.
Ces personnes ne voient dans la classification que le reflet du travail de l'homme ou de la raison
(un peu donc à la manière de Buffon, du moins superficiellement) ; refusant une réalité extérieure universelle et connaissable, ils mesurent tout à l'aune de la raison humaine. L'espèce n'est alors qu'une catégorie sans plus d'universalité que la classe, ou un groupe allèlique... En fait, cette attitude, aujourd'hui, va souvent de pair avec un réductionnisme mécaniciste physico-chimique et l'adoption d'un théorie de l'évolution "darwinienne" qui place le hasard au centre du processus évolutif (je renvoie à l'intéressant article de Jean Largeault dans l'Encyclopedia Universalis (v12) "réalisme (philosophie)" qui développe l'opposition réductionnisme-holisme).
Pour ce qui est de la classification des êtres vivants, ces personnes ne considèrent plus que l'objectivité vient de l'histoire mais, qu'au contraire, elle vient de la méthode elle-même (c'est le rêve positiviste). Comme nous allons le voir, la méthode de classification cladiste se prête admirablement à un tel discours. Ces scientistes prétendent faussement que la réelle neutralité de la cladistique
(voir ci-dessous) vis-à-vis de telle ou telle théorie évolutive (qui sert à polariser les caractères) est en fait un relativisme associé au hasard sur lequel ils font reposer l'histoire du vivant.

Remarque:
On classe des espèces et non des individus

 

Qu'est-ce qu'une espèce ?

Qu'est-ce que l'évolution ?

Depuis l'avènement de l'idée d'évolution la classification des êtres vivants ne classe plus des INDIVIDUS mais des ESPÈCES, car ce n'est pas l'individu qui évolue mais les espèces qui se transforment. Il est donc préférable de parler de la classification des espèces.


Sans vouloir trop insister sur ces questions très polémiques, il me semble qu'on n'accorde pas suffisamment d'importance à cette affirmation que personne ne semble contester : l'évolution est une évolution des espèces et non des individus. Bien évidemment tout dépend de ce que l'on met derrière le mot espèce. Pour ma part, et suivant la définition qui a ma préférence (et avec un contenu ontologique fort): une espèce est un continu auquel chaque être vivant appartient du fait de sa descendance d'un autre être vivant de son espèce, je crois distinguer deux conséquences:
* La première conséquence, fondamentale pour un élève, est que, étant donné que la notion d'espèce n'est pas vraiment expérimentale
mais bien théorique, l'évolution des espèces est du domaine de la théorie. Cela ne signifie pas que l'on puisse rien prouver expérimentalement mais que l'application des résultats expérimentaux à une théorie ou à une autre (pour des mécanismes évolutifs) restera toujours du domaine de l'hypothèse.
* La seconde conséquence, est plus difficile à exprimer et plus personnelle - je ne suis pas sûr de ne pas me tromper - et porte sur les affirmations de certains taxinomistes "relativistes"
(voir ci-dessous). J'ai cru comprendre que, dans leur condamnation de ce qu'ils qualifient d'essentialisme (et qui, pour moi, serait plutôt un réalisme) et du rejet de toute typologie, ils n'accordent une réalité qu'aux individus (ce qui est, je crois, la thèse nominaliste). L'espèce n'est alors pour eux qu'un regroupement plus ou moins signifiant. Dans ce cas, comment peuvent-ils proposer UNE classification phylogénétique des espèces ? Ce qu'ils appellent la classification phylogénétique ne devrait être pour eux qu'une "méthode de classement des organismes selon les principes de l'évolution des caractères avec le moindre changement (parcimonie)". Ils devraient juste proposer des classifications phylogénétiques multiples de diverses écoles et rejeter toute idée d'une classification historique unique. De fait, je crois qu'ils sont incohérents avec leurs thèses philosophiques, car ils voient bien que l'histoire en science est une, ce qui devrait les faire revenir dans le premier groupe et abandonner leur relativisme.


Le titre de l'ouvrage de Darwin annonce une théorie de l'origine des espèces alors qu'il traite principalement de leur disparition au moyen de la sélection naturelle.


La taxinomie

La science de la classification des êtres vivants est la systématique ou la taxinomie.

On parle aussi de biodiversité pour signifier la diversité des êtres vivants mais on a tendance à élargir cette notion à l'ethnodiversité (diversité des hommes) et plus récemment à la géodiversité (diversité des roches, minéraux, paysages et autres formes physiques terrestres...).


3 . Où est passée l'histoire du vivant ?

3.1 L'étape cladiste


La méthode cladiste ou cladistique construit, selon une méthode élaborée par Willi Hennig (Grundzüge einer Theorie der phylogenetischen Systematik , W. Hennig, 1950), des cladogrammes qui traduisent graphiquement les clades ou lignées évolutives construites à partir de caractères polarisés (dont on décide s'ils sont primitifs ou évolués à l'aide d'hypothèses évolutives paléontologiques et embryologiques).


Voir quelques éléments pour comprendre les classifications cladistes ci-dessous.

Un cladisme ouvert à plusieurs théories évolutives

Le cladisme part des caractères (des organismes actuels et des fossiles) et s'efforce de les relier phylogénétiquement avec le plus de rigueur logique possible. Il suppose l'évolution mais ne favorise aucune théorie particulière. Toute théorie évolutive peut servir à polariser les caractères (voir page sur le cladisme).


cladisme

Il n'y a pas de temps pour le cladiste

 

 

 

Voir cours de seconde :
3.5 Parenté et diversité des organismes

Si les phylogénies construites à partir d'analyses cladistiques sont maintenant la norme, il ne faut pas cependant pas croire que c'est la méthode qui fournit l'histoire. Il n'y a pas de temps pour le cladiste, mais seulement des relations logiques de parenté.

Mais bien évidemment, le paléontologue qui cherche à reconstituer l'histoire du vivant utilise les datations réalisées à partir des fossiles (par d'autres méthodes que le cladisme : datation logique ou datation expérimentale). L'histoire vient des fossiles que l'on plaque sur le cladogramme et qui devient ainsi un arbre phylogénétique. En ajoutant ainsi le temps on sort du cladisme pour rentrer dans l'histoire du vivant. Mais cette construction pose bien des problèmes car comment concilier une histoire, forcément unique, avec une construction logique parcimonieuse, forcement plurielle.

Ainsi, avec la cladistique on a progressé en scientificité car la méthode est unifiée et les critères sont clairs, mais on a aussi régressé en terme de compréhension car ce n'est pas le cladisme qui peut permettre de reconstituer l'histoire (mais ce sont bien les fossiles et leur interprétation).  

 

le cladisme peut facilement être dévié vers un relativisme* philosophique

Sous des apparences consensuelles le relativisme (en morale un relativiste pourrait s'exprimer ainsi "tout n'est qu'opinion et toutes les opinions se valent") est extrêmement violent vis-à-vis de ceux qui le rejettent. Associé au scientisme c'est une idéologie tyrannique (voir Qu'est-ce que la science ?).

La ressemblance entre deux individus A et B plus proches entre eux que d'un autre C (similitude relative de A et B par rapport à C) s'exprime alors par l'idée que leur ancêtre commun le plus ancien logiquement est plus récent logiquement que l'ancêtre commun théorique qu'ils ont chacun ou à deux avec cet individu C. C'est cette notion de ressemblance relative qui me paraît fondamentalement différente d'une classification qui cherche à établir des parentés absolues (historiques), entre deux groupes.
La question pour un cladiste n'est pas de savoir combien A et B se ressemblent mais quels sont les caractères pertinents qui font qu'ils se ressemblent plus qu'ils ne ressemblent à C, autrement dit, en supposant qu'une plus grande ressemblance s'exprime par une origine commune plus récente logiquement, la question est de savoir quels sont les caractères pertinents qui permettent de les établir comme un groupe dérivé d'un ancêtre commun avec C.
Aux recherches de similitudes, immédiatement associées à une certaine filiation, non fixée dans le temps mais supposée, on substitue une notion de ressemblance relative que l'on chiffre à l'aide de matrices de caractères, toujours établie, non pas de façon absolue, mais relativement à un groupe de comparaison. La polarisation des caractères d'un groupe se fait toujours en référence à un autre groupe et non d'une façon absolue. Si je compare le groupe mammifères au groupe oiseaux, je n'obtiens pas la même matrice qu'avec le groupe amphibiens. Petit-à-petit s'est éloignée de l'esprit de nombreux systématiciens, l'idée que l'on puisse avoir une classification définitive, absolue. Non pas dans le sens qu'elle puisse résister au temps, car tout le monde s'accorde à dire que toute classification est dépendante des connaissances de l'époque, mais dans le sens où elle explique l'ordre naturel, extérieur à l'homme et qui dépasse en soi la connaissance, qui restera imparfaite. La classification de Linné reflétait cette soif d'absolu, même s'il savait son travail perfectible.

Remarque:
Le cladisme classe des individus et non des espèces. Du point de vue philosophique, cette position peut être qualifiée de nominaliste (dans le sens d'opposé au réalisme logique - voir
ci-dessus).

Pour un enseignant le foisonnement des classifications cladistes plus ou moins signifiantes est une difficulté supplémentaire, sans parler des nouvelles dénominations des groupes qui, par définition, ne seront jamais unifiées mais resteront plurielles. Il est patent que la méthode qui devait permettre de connaître enfin L'histoire de la vie, n'a pu donner naissance qu'à des historiettes : c'est le tribut à payer au relativisme. Mais on peut réagir.


3.2 L'irruption des statistiques

Les données moléculaires, et leur traitement statistique, ont d'abord permis un développement des méthodes phénétiques (basées sur les ressemblances sans s'occuper des relations de parenté exprimées au niveau des caractères). Ces données moléculaires se sont ensuite avérées être facilement utilisables en cladistique si l'on faisait des hypothèses simples de relations évolutives entre molécules, ce que fournissait la théorie de l'information génétique (des distances exprimées en nombre minimal de substitutions et autres "mutations").

Mais, désormais, les outils mathématiques utilisés par la cladistique -ou la phénétique- lorsqu'elle compare des caractères se sont grandement sophistiqués. En gagnant toutes les écoles de classification les méthodes statistiques ont véhiculé avec elles, de façon parfois cachée, le réductionnisme génétique (théorie de l'information génétique), qui renaît ainsi de ses cendres. L'utilisation des statistiques pour l'analyse de caractères morphologiques pourrait évacuer ce problème (voir l'exemple de la lignée humaine), mais en pose d'autres à son tour.

Il y a un vrai paradoxe: d'un côté on a une biologie moléculaire de plus en plus probabiliste (de moins en moins déterministe) et de l'autre des mécanismes moléculaires évolutifs dépassés qui servent à évaluer statistiquement des lignées évolutives.

Et si l'on veut essayer de comprendre la valeur historique de ces nouveaux arbres phylétiques on est forcé de constater qu'elle repose sur des éléments disparates qui ne possèdent pas le même degré de confiance (il s'agit ici de la confiance que l'on fait à toute preuve scientifique) : horloge moléculaire (encore fort utilisée, notamment pour les branchements), datation des fossiles, hypothèses anatomiques ou embryologiques (la formation de telle structure ne pouvant intervenir que postérieurement à telle autre)...

Conclusion de l'article "Classification du vivant" de Duris et Tassy in EU2009
compléments en
annexe

« La conclusion de cette brève histoire des classifications nous invite à une humilité qui est désormais aux antipodes des standards des publications scientifiques. Si un siècle après L'Origine des espèces, on a admis que les classifications devaient être phylogénétiques, on s'est vite désaccordé sur les méthodes permettant de reconstruire la phylogénie. Cet aspect n'apparaît pas aux yeux du grand public : un résultat phylogénétique est le plus souvent présenté comme un résultat biologique qui va de soi, s'imposant de lui même, où la méthode de travail n'est pas censée influencer le résultat. Ce n'est pas tout à fait vrai. Alors que la classification a d'abord été vue comme un système de référence invitant à la stabilité du savoir, la phylogénétique est un domaine en recherche »


3.3 Enseigner l'histoire du vivant
Le sens des mots est important. Actuellement:
- une généalogie est une succession héréditaire entre INDIVIDUS. On ne peut l'atteindre que pour une histoire récente. Au sens strict on ne peut employer ce terme que pour les êtres humains. Les autres emplois sont analogiques.
- une chronologie retrace la succession des INDIVIDUS OU des ESPÈCES dans le temps, sans considérer des relations de parenté.
- une phylogénie retrace les relations ÉVOLUTIVES des ESPÈCES. Elle n'est pas forcément historique mais toujours logique. En effet, si l'évolution comporte bien une dimension temporelle (interne ?), ce n'est pas la succession des espèces dans le temps qui est l'objet de cette représentation. On pourrait dire, par exemple, qu'une forme B est plus évoluée que A (par exemple pour le développement d'un tissu ou d'un membre) mais elle peut être apparue avant A et avoir disparue lorsque A apparaît. L'évolution n'est pas un processus forcément linéaire qui procéderait par étapes successives. On touche là une question majeure de l'évolution qui a été grandement faussée par le weismannisme qui nie cette propriété de l'évolution: pour un weismannien l'évolution n'est pas un phénomène mais une mémoire, ce qui revient à nier et l'histoire du vivant et l'évolution
(voir page sur l'évolution et page sur la vie).
L'histoire est la succession temporelle d'événements. Lorsque l'on parle de l'histoire des êtres vivants il s'agit plus d'une
histoire du vivant, ce qui laisse la porte ouverte à des interprétations diverses de la vie et du temps. Si l'on affirme comme P. Darlu et P. Tassy (dans leur ouvrage La reconstruction phylogénétique, Concepts et méthodes, Masson, 1993, p 1, disponible sur internet) que «la phylogénie c'est le cours historique de la descendance des êtres organisés», on fait en quelque sorte une confusion entre histoire et relations évolutives.

Enseigner un cladisme sans relativisme et une histoire du vivant

généalogie =/= cladogramme =/= arbre phylétique

Une généalogie...

... même représenté sous forme d'
arbre généalogique

n'a rien à voir avec...
 

un cladogramme où les nœuds représentent la position logique des "ancêtres communs" qui sont des entités théoriques regroupant les caractères de plusieurs clades

voir cladogramme complet du Cours 1ES-1L (partie 2.1)
Pour des détails voir la page sur
le cladisme.

Les enseignants, et majoritairement les enseignants du secondaire, utilisent la plupart du temps des arbres phylogénétiques (qui ne sont donc plus des cladogrammes) à des fins pédagogiques pour représenter l'évolution.
Comme cette représentation est relative (ne représente pas une réalité mais une construction logique), il est tentant philosophiquement d'affirmer que toute connaissance est relative et que l'on a ainsi une illustration de la construction humaine de toute relation; ce qui est une sorte d'allégeance au relativisme philosophique. Ce discours va souvent de pair avec l'affirmation par l'enseignant de ce que l'évolution progresse au hasard et que donc, cette histoire est totalement contingente. Il affirme ainsi un des postulats du néodarwinisme repris dans la théorie synthétique de l'évolution, ce qui n'est qu'une théorie parmi d'autres et qui n'est pas du tout incluse dans le cladisme
(voir page annexe).

Ce faisant l'enseignant se heurte alors au réalisme "naturel" des élèves qui tentent par tous les moyens de plaquer l'histoire (qu'ils savent être unique puisque le temps est une caractéristique de la vie) sur ces cladogrammes.
On retrouve donc ici l'idée d'une classification naturelle parce qu'évolutive.

Ce sont les élèves qui ont raison.

En effet, pour être juste, il ne faut pas mélanger histoire et cladogramme.
Il ne faut pas présenter les cladogrammes comme des arbres généalogiques qu'ils ne sont pas.
Par contre il est tout à fait légitime pour l'enseigner de faire comprendre à l'élève que le sens de l'histoire de la vie ne présume pas des mécanismes. Il est donc en droit de batailler pour que le vocabulaire cladiste soit correctement employé. De nombreuses difficultés des enseignants pour faire utiliser correctement le vocabulaire de l'évolution (primitif, évolué, ancêtre commun, dérivé....) proviennent donc de cette confusion entre histoire et cladogramme. Pour y remédier le moyen le plus efficace et rigoureux est d'employer le vocabulaire cladiste le plus précis possible
(voir ci-dessous) et de montrer les limites des cladogrammes qui ne représentent jamais une histoire mais un réseau de relations logiques. C'est pour cela que j'ai proposé de construire des cladogrammes avec des objets (si possible pas trop historiquement définis) dans une page annexe.


... 3 arbres phylogénétiques des Hominidés... déjà dépassés et sans grand intérêt... les paléoanthropologues se refusent majoritairement à donner un arbre.

La vie comme continu:
*
Qu'est-ce que la vie?
*
le temps (terminale)
*
Qu'est-ce que l'évolution?

Il existe d'autres pistes pour éviter les confusions histoire-cladisme (ou plutôt généalogies-cladogrammes) dans l'esprit des élèves.
- Peut-être aurait-il suffit d'enseigner, conjointement au cladisme, une
classification évolutionniste (regroupées sous le terme de systématique évolutive), même ancienne. On aurait pu, alors, s'appuyer sur l'histoire du vivant (voir les trois types de classification dans la page de 1ère sur l'évolution de l'homme). Mais je crois qu'il est trop tard.
- Donc, je serai personnellement partisan de séparer histoire et classification: il s'agirait de présenter, à côté de plusieurs classifications phylogénétiques, une
histoire du vivant (revenir en quelque sorte à l'histoire naturelle fondée par Aristote chez qui science et philosophie faisaient bon ménage). Séparer en quelque sort les données paléontologiques et les données phylogénétiques.


Addenda à l'attention des collègues enseignants:

hasard, contingence, darwinisme, scientisme, déterminisme, créationnisme 

«...la science enfle...»
(Saint Paul, 1Cor 8, 1))

Les théories de l'évolution ont une dimension philosophique et politique qu'il est vain d'essayer d'occulter.

La dimension religieuse n'est pas plus marquée que pour toutes les autres questions de la biologie qui touchent à l'homme (la question de l'anthropologie est abordée dans la page sur l'évolution de l'homme).

Darwinisme et contingence...
il est de plus en plus fréquent qu'un mécanisme présentant un certain
indéterminisme soit qualifié trop vite de darwinien, sans autre analyse. Ces questions philosophiques demandent du temps, de la réflexion et beaucoup d'ouverture d'esprit
(voir page de biologie théorique). Dans une vision sans demi-teinte de la science, certains opposent la finalité à la contingence (opposée en logique à la nécessité). C'est bien mal connaître la richesse de la causalité (voir les 4 causes en SVT). La science à toujours besoin des causes (voir Qu'est-ce que la science ?).

On a le droit de refuser le positivisme :
Du côté des enseignants, un croyant est capable d'enseigner l'évolution en sachant composer avec l'indéterminisme et même enseigner une explication darwinienne, lorsque cette explication est pertinente.
Mais accepter sans réagir de se voir imposer* le positivisme comme mode raisonnement et comme fondement de l'enseignement scientifique au lycée est INACCEPTABLE pour un homme cultivé comme
pour un catholique.

On rapporte (voir ci-contre "Un autre Darwin" <---) des prises de positions anti-évolutionnistes inacceptables de certains élèves qui, très secondairement, se prétendent créationnistes, mais qui sont plutôt dans une démarche intégriste voire sectaire...
Jean Gayon et Michel Veuille, en bons darwiniens, se proposent alors d'aider Guillaume Lecointre et quelques autres à éclairer les enseignants. Je suis d'accord quand ils affirment que le débat créationnisme-évolutionnisme, n'est pas d'un niveau culturel élevé. Mais s'ils s'accordent à affirmer qu'il n'y a aucun problème culturel entre le darwinisme scientifique (actuel) et la religion, ce n'est visiblement pas le cas de G. Lecointre.


«Une culture purement positiviste, qui renverrait dans le domaine subjectif, comme non scientifique, la question concernant Dieu, serait la capitulation de la raison, le renoncement à ses possibilités les plus élevées et donc un échec de l'humanisme, dont les conséquences ne pourraient être que graves.» Rencontre avec le monde de la culture , Discours du pape Benoît XVI au collège des Bernardins, le Vendredi 12 septembre 2008

«Les principes éthiques forment le socle de la science [... ] . La recherche de la vérité et l'idée d'une approximation de la vérité sont aussi des principes éthiques; tout comme le sont les notions d'intégrité intellectuelle et de faillibilité, qui conduisent à une attitude d'auto-critique et à la tolérance.» Karl Popper (citation en haut de la page d'accueil de ce site)

Un autre Darwin, Sciences et conscience, émission de France Culture du jeudi 25 septembre 2008

 

Page sur le darwinisme moderne extrait de l'Histoire de la notion de vie, André Pichot, Gallimard, 1993

La création selon la foi catholique

Je crois qu'il est du ressort de l'Éducation Nationale de replacer correctement le débat en montrant les positions philosophiques de chacun. Un enseignant doit pouvoir enseigner qu'il existe des courants non darwiniens en biologie et en paléontologie. Un enseignant croyant doit pouvoir affirmer, contre l'avis d'athées militants comme G. Lecointre, qu'il n'y a pas d'incompatibilité entre science et foi et qu'au contraire l'une et l'autre grandissent l'homme et que l'on peut tous travailler à la vérité.


Enseigner l'évolution avec ouverture d'esprit

On comprend le souhait d'harmonisation des instances pédagogiques de l'Éducation Nationale mais harmonisation ne veut pas dire homogénéisation. C'est ainsi que l'on a favorisé des positions sectaires.

J'encourage donc les collègues à enseigner plusieurs théories de l'évolution, à ne pas cacher leur foi ou leur athéisme sans en faire l'ostentation et à toujours accepter le débat.
Notre grande alliée dans ces questions est l'histoire. Chaque fois que cela est possible il faut revenir aux travaux des historiens des sciences et des épistémologues afin de clarifier le débat.


La théorie synthétique n'est pas vérité révélée et il est plus que temps d'ouvrir l'esprit de nos élèves à d'autres théories.
Nier la dimension philosophique et surtout politique du darwinisme et, partant, de la théorie synthétique, est VAIN. Et nous avons le droit de ne pas être trop convaincus par cette théorie, quelles qu'en soient les raisons. Ne pas l'enseigner est impossible, étant donné son omniprésence. Mais il me paraît nécessaire de résister vigoureusement face à ceux qui refusent aux autres la liberté de penser juste, ce qui est un des traits du relativisme.

Pour une approche érudite de l'histoire des classifications jusqu'au début du XXème,, je conseille un texte d'André Pichot: Définir, décrire et classer en biologie, Delagrave 2005

Je veux aussi soulever ici le problème de l'usage immodéré de l'ouvrage de Le Guyader-Lecointre: Classification phylogénétique du vivant (Belin).

Dans cet ouvrage la présentation de ce qu'est une classification est extrêmement faussée (p11-18).
L'histoire de la philosophie y est présentée comme une sorte de progrès des idées, dont les auteurs raillent les conceptions archaïques. C'est tout le contraire de la philosophie.
La pensée des auteurs passés est vivante dans leurs écrits et dans celle de contemporains qui travaillent sur leur œuvre. De ce bouillonnement de pensées actuelles émergent différentes philosophies actuelles, des courants, des écoles... des espoirs et beaucoup de désespoir. Le relativisme* de ces auteurs ne mène à rien si ce n'est à lutter contre toute idée de vérité universelle, ce qui est tout de même gênant en science.


Je suis navré lorsque je vois nombre de mes collègues - et surtout des instances pédagogiques* - , qui reprennent imprudemment ces idées, se faisant ainsi, plus ou moins volontairement, les hérauts d'une doctrine philosophique, certes dans l'air du temps -il y a 20 ans- , mais ô combien déstructurante (et fausse à mon avis).
On peut très bien, à mon avis, utiliser le cladisme comme outil, sans en accepter l'utilisation philosophique qu'en font certains
(voir cladisme).
Vis-à-vis de l'enseignement des classifications, là où l'enseignant devient parfois malhonnête, et peut-être de façon inconsciente, c'est uniquement lorsqu'il s'efforce de faire passer à ses élèves le relativisme philosophique avec le cladisme, comme le font Le Guyader-Lecointre dans leur Classification phylogénétique du vivant, dans ce cas de façon clairement affichée, il est vrai.

*Il n'est pas acceptable que l'Éducation Nationale se fasse le relais d'une philosophie relativiste sans présenter d'autres approches:
Guillaume Lecointre, sans pour autant lui enlever son mérite dans ses efforts de vulgarisation de la méthode cladistique, est connu pour ses positions scientistes : c'est un positiviste athée - voir par exemple son point de vue publié dans Pour la Science (Des scientifiques s'égarent..., Pour La Science, 259, mai 1999, 8-9); sa nomination comme professeur au MNHN, n'enlève rien au caractère très militant de ses propos scientistes sur son site hébergé par cette institution. Ce qui serait souhaitable c'est que d'autres enseignants de cette institution, avec des visions différentes (utilisant l'outil cladistique autrement que comme critère de scientificité), fassent le même effort. L'oreille bienveillante portée aux propos scientistes de G. Lecointre, qui affiche sans vergogne le projet d'éradiquer toute idée de classification naturelle chez les enfants, est pour moi la marque de la progression d'une idéologie dangereuse. Il est urgent de réagir.




Quelques éléments pour comprendre les classifications cladistes
page plus détaillée sur le cladisme

en cladistique, il n'y a pas de temps, il n'y a que des relations logiques


comparer des similitudes = deux caractères qui se ressemblent fortement

soit homologie* (véritable caractère hérité)

présence de vertèbres (même si toutes les vertèbres ne sont pas identiques on peut considérer que le fait de posséder des vertèbres est un caractère homologue chez deux individus, même éloignés). Tous les animaux à vertèbres** forment donc un clade (groupe monophylétique: ayant une origine commune; le point de rencontre de tous les caractères communs aux membres du clade est appelé "ancêtre" commun).

* l'homologie et l'analogie cladistes n'ont pas le sens classique, voir page sur le cladisme

** la grande importance de ce caractère pour classer les animaux a été reconnue dès la fin du 18ème siècle; on attribua par exemple à Geoffroy Saint-Hilaire la chaire des Animaux vertébrés lors de la création du Muséum (1793); Lamarck du se contenter de la chaire des insectes et vers (voir discours de 1801 (p7); dans une toute autre démarche classificatoire, avec son Systema Naturæ, Linné utilisait des caractères moins anatomiques et plus physiologiques...(REGNUM ANIMALE extrait de la 12ème édition de Systema naturae, 1766, Gallica-BNF, tome 1 (partie 1) p 19)


soit analogie* (caractère semblable par convergence ou hasard mais sans lien de parenté direct évident)

présence d'écailles : toutes les écailles n'ont pas forcément la même structure ni la même origine (les écailles des poissons ne sont pas homologues des écailles des reptiles ou des oiseaux)


les plumes ont longtemps été considérées comme des structures homologues (ayant une origine commune). Maintenant on considère qu'il existe plusieurs sortes de plumes. Il n'y a donc d'homologie qu'au sein de certains groupes (voir ci-dessous).

ancienne page de terminale sur les plumes


comparer des homologies = caractères hérités

soit caractère à l'état dérivé (est l'expression d'une parenté = résulte de l'évolution); noté 1

synapomorphie (partage de l'état apomorphe (du grec apo = loin de et de morphos = la forme) = caractères éloignés

la présence d'une phanère de type " plume" de l'Archéoptéryx est un caractère dérivé par rapport à l'écaille d'un reptile ancestral qui serait d'une lignée n'ayant jamais eu de représentants à plumes (par exemple Sinosauropteryx); le groupe des reptiles comportant des plumes (Archæopteryx, Confuciusornis, Enantiornithines, Euornithes) et qui aurait donné naissance aux oiseaux serait ce que l'on appelle un groupe monophylétique (qui contient un ancêtre commun et tous ses "descendants").


de même la forme générale et le nombre de vertèbres est un caractère dérivé (synapomorphie) si on compare les vertèbres rudimentaires de la Lamproie (Petromyzontidé) avec celles d'un Ostéichthyen (comme la Bar).


soit caractère à l'état primitif ou à l'état ancestral (est le résultat d'une stabilité); noté 0

plésiomorphie (du grec plésios = voisin et morphos = la forme) = caractères voisins

la présence de plumes chez deux oiseaux est un caractère primitif (voisin)


de même, la forme des vertèbres chez deux Ostéichthyens est suffisamment semblables (si l'on compare des régions comparables de l'axe vertébral) pour qu'elle constitue un caractère primitif ou plésiomorphie.


"l'ancêtre commun" et les "descendants" de l'ancêtre commun (formant un groupe monophylétique = clade)

le terme d'ancêtre ne désigne pas un fossile mais un concept (ce n'est pas un individu) qui regroupe un certain nombre de caractères. Quand on parle d'ancêtre "antérieur", il faut comprendre "plus éloigné en terme de similitude". Un ancêtre commun à deux groupes-frères est le point de rencontre logique le plus proche de tous les caractères propres à chaque groupe. Ce que le paléontologue interprète comme un indication bien sûr de l'emplacement LOGIQUE du véritable ancêtre (mais hypothétique), historique, d'une lignée qui posséderaient les caractères portés par le clade.


 

Annexe:


Extraits de et commentaires sur l'article "Classification du vivant" dans l'Encyclopedia Universalis de 2009, signé par Pascal Duris (Professeur d'épistémologie et histoire des sciences à l'Université Bordeaux 1) et Pascal Tassy (Professeur au Muséum d'Histoire Naturelle)

Sans constituer encore une rupture, cet article de vulgarisation marque une nouvelle étape après la conquête de l'enseignement par un certain cladisme: la reconnaissance de l'existence de différents points de vue.

Je suis particulièrement agacé par l'utilisation dans un sens volontairement(?) falsifié (scientiste si je comprends bien) de certains mots comme " créationniste" ou "chronologie biblique". Je suis las de cette "mauvaise foi", mais c'est sans doute un problème récurrent en histoire.

Une fois encore ce n'est pas dans leur présentation de l'histoire ancienne des classifications que ces auteurs sont crédibles mais dans les quelques éléments de l'histoire récente qu'ils signalent.

* somme des modifications
/ indications de descendance

Une clé de l'argumentaire des auteurs repose sur l'idée que Darwin aurait considéré, dans son effort de reconstitution de la généalogie des êtres vivants, une sorte de «dualisme» pour les caractères qui seraient soit une «somme des modifications» soit des «indications de descendance». Duris et Tassy soulignent ainsi, dans l'histoire récente, une préoccupation excessive pour les caractères vus comme la "somme des modifications" (dans le cladisme), alors que persiste la difficulté de retrouver des "indications de descendance".
J'avoue avoir du mal à les suivre. Voici deux extraits qui parlent de cette question :

Charles Darwin, L'origine des espèces au moyen de la sélection naturelle ou La lutte pour l'existence dans la nature (1859), d'après l'édition de 1896 (Ed. Schleicher frère), traduit de l'édition anglaise définitive par Ed. Barbier (accessible sur le site de l'ABU ou mieux, celui de l'Université du Québec à Chicoutimi: http://classiques.uqac.ca /classiques /darwin_charles_robert /origine_especes /origine_especes.html )

 


figure extraite du livre

« Mais je dois m'expliquer plus complètement. Je crois que l'arrangement des groupes dans chaque classe, d'après leurs relations et leur degré de subordination mutuelle, doit, pour être naturel, être rigoureusement généalogique ; mais que la somme des différences dans les diverses branches ou groupes, alliés d'ailleurs au même degré de consanguinité avec leur ancêtre commun, peut différer beaucoup, car elle dépend des divers degrés de modification qu'ils ont subis ; or, c'est là ce qu'exprime le classement des formes en genres, en familles, en sections ou en ordres. Le lecteur comprendra mieux ce que j'entends en consultant la figure du quatrième chapitre. Supposons que les lettres A à L représentent des genres alliés qui vécurent pendant l'époque silurienne, et qui descendent d'une forme encore plus ancienne. Certaines espèces appartenant à trois de ces genres (A, F et I) ont transmis, jusqu'à nos jours, des descendants modifiés, représentés par les quinze genres (a14 à z14) qui occupent la ligne horizontale supérieure. Tous ces descendants modifiés d'une seule espèce sont parents entre eux au même degré ; on pourrait métaphoriquement les appeler cousins à un même millionième degré ; cependant ils diffèrent beaucoup les uns des autres et à des points de vue divers. Les formes descendues de A, maintenant divisées en deux ou trois familles, constituent un ordre distinct de celui comprenant les formes descendues de I, aussi divisé en deux familles. On ne saurait non plus classer dans le même genre que leur forme parente A les espèces actuelles qui en descendent, ni celles dérivant de I dans le même genre que I. Mais on peut supposer que le genre existant F14 n'a été que peu modifié, et on pourra le grouper avec le genre primitif F dont il est issu ; c'est ainsi que quelques organismes encore vivants appartiennent à des genres siluriens. De sorte que la valeur comparative des différences entre ces êtres organisés, tous parents les uns des autres au même degré de consanguinité, a pu être très différente. Leur arrangement généalogique n'en est pas moins resté rigoureusement exact, non seulement aujourd'hui, mais aussi à chaque période généalogique successive. Tous les descendants modifiés de A auront hérité quelque chose en commun de leur commun parent, il en aura été de même de tous les descendants de I, et il en sera de même pour chaque branche subordonnée des descendants dans chaque période successive. Si toutefois, nous supposons que quelque descendant de A ou de I se soit assez modifié pour ne plus conserver de traces de sa parenté, sa place dans le système naturel sera perdue, ainsi que cela semble devoir être le cas pour quelques organismes existants. Tous les descendants du genre F, dans toute la série généalogique, ne formeront qu'un seul genre, puisque nous supposons qu'ils se sont peu modifiés ; mais ce genre, quoique fort isolé, n'en occupera pas moins la position intermédiaire qui lui est propre. La représentation des groupes indiquée dans la figure sur une surface plane est beaucoup trop simple. Les branches devraient diverger dans toutes les directions. Si nous nous étions bornés à placer en série linéaire les noms des groupes, nous aurions encore moins pu figurer un arrangement naturel, car il est évidemment impossible de représenter par une série, sur une surface plane, les affinités que nous observons dans la nature entre les êtres d'un même groupe. Ainsi donc, le système naturel ramifié ressemble à un arbre généalogique ; mais la somme des modifications éprouvées par les différents groupes doit exprimer leur arrangement en ce qu'on appelle genres, sous-familles, familles, sections, ordres et classes. »

La somme des modifications c'est l'étendue des différences.
Ce qui semble préoccuper Darwin est la disparition de signes clairs de l'ascendance commune....


Charles Darwin, The descent of man, and selection in relation to sex, London, John Murray, 1st edition, 1871 sur le site Darwin_online: http://darwin-online.org.uk /EditorialIntroductions /Freeman_TheDescentofMan.html

et traduction d'Edmond Barbier, 1891. La descendance de l'homme et la sélection sexuelle. Preface by Carl Vogt. Paris: C. Reinwald à droite, sur le même site

«We can understand why a classification founded on any single character or organ&emdash;even an organ so wonderfully complex and important as the brain&emdash;or on the high development of the mental faculties, is almost sure to prove unsatisfactory. This principle has indeed been tried with hymenopterous insects; but when thus classed by their habits or instincts, the arrangement proved thoroughly artificial.3 Classifications may, of course, be based on any character whatever, as on size, colour, or the element inhabited; but naturalists have long felt a profound conviction that there is a natural system. This system, it is now generally admitted, must be, as far as possible, genealogical in arrangement,&emdash;that is, the co-descendants of the same form must be kept together in one group, separate from the co-descendants of any other form; but if the parent-forms are related, so will be their descendants, and the two groups together will form a larger group. The amount of difference between the several groups&emdash;that is the amount of modification which each has undergone&emdash;will be expressed by such terms as genera, families, orders, and classes. As we have no record of the lines of descent, these lines can be discovered only by observing the degrees of resemblance between the beings which are to be classed. For this object numerous points of resemblance are of much more importance than the amount of similarity or dissimilarity in a few points.»

«Il est facile de comprendre pourquoi une classification basée sur un seul caractère ou sur un seul organe, - fut-ce un organe aussi complexe et aussi important que le cerveau, - ou sur le grand développement des facultés mentales, doit presque certainement être peu satisfaisante. On a appliqué ce système aux insectes hyménoptères; mais, une fois classés ainsi d'après leurs habitudes ou leurs instincts, on a reconnu que cette classification était entièrement artificielle. On peut, cela va sans dire, baser une classification sur un caractère quelconque : la taille, la couleur, l'élément habité; mais les naturalistes ont, depuis longtemps, acquis la conviciion profonde qu'il doit exister un système naturel de classification. Ce système, on l'admet généralement aujourd'hui, doit suivre autant que possible un arrangement généalogique, - c'est-à-dire que les codescendants du même type doivent être réunis dans un groupe séparé des codescendants de tout autre type; mais, si les formes parentes ont eu des relations de parenté, il en est de même de leurs descendants,. et les deux groupes doivent constituer un groupe plus considérable. L'étendue des différences existant entre les divers groupes, - c'est-à-dire la somme des modifications que chacun d'eux aura éprouvées, - s'exprimera par des termes tels que genre, familles, ordres et classes. Comme nous ne possédons aucun document sur les lignes de descendance, nous ne pouvons découvrir ces lignes qu'en observant les degrés de ressemblance qui existent entre les êtres qu'il s'agit de classer. Dans ce but, un grand nombre de points de ressemblance ont une importance beaucoup plus considérable que toute similitude ou toute dissemblance prononcée, mais ne portant que sur un petit nombre de points. Si deux langages contiennent un grand nombre de mots et de formes de construction identique, on est d'accord pour reconnaître qu'ils dérivent d'une source commune, quand bien même ils pourraient différer beaucoup par quelques autres points. Mais, chez les êtres organisés, les points de ressemblance ne doivent pas consister dans les seules adaptations à des habitudes de vie analogue : ainsi, par exempe, il se peut que toute la constitution des deux animaux se soit modifiée pour les approprier à vivre dans l'eau, sans que pour cela ils soient voisins l'un de l'autre dans le système naturel. Cette remarque nous aide a comprendre pourquoi les nombreuses ressemblances portant sur des conformations sans importance, sur des organes inutiles et rudimentaires, ou sur des parties non encore complètement développées et inactives au point de vue fonctionnel, sont de beaucoup les plus utiles pour la classification, parce que, n'étant pas dues à des adaptations récentes, elles révèlent ainsi les anciennes lignes de descendance, c'est-à-dire celles de la véritable affinité.»


Les auteurs soulignent aussi le délicat usage des grades (niveaux évolutifs). Mais il me semble que si l'on affirme que des organismes, même s'ils n'appartiennent pas à la même lignée, appartiennent à un même grade s'ils sont au même stade évolutif, cela sous-entend l'existence d'un mécanisme évolutif identique. En effet, il ne s'agit pas ici de datation, mais bien de complexité, ou, au moins, de niveau dans un processus évolutif supposé unique..

De plus, ces auteurs rappellent (mais est-ce vraiment un "rappel" ?) «les concepts formalisés en 1870 par le zoologiste britannique Edwin Ray Lankester qui décomposa la notion d'homologie. Les homologies dues à la parenté sont appelées « homogénies » ; les autres, présentes chez diverses espèces sans pour autant avoir été héritées d'un ancêtre commun, sont appelées « homoplasies ». Depuis, on a restreint le sens de l'homologie à celui de l'homogénie, ce dernier terme tombant dans l'oubli.»


irruption des statistiques

Enfin, le point majeur, à mon sens, est la présentation qu'ils font de l'irruption des statistiques dans la classification.
Voici les deux derniers paragraphes
(la conclusion est citée plus haut):

«L'ordinateur, la molécule et la ressemblance


D'Amérique vinrent, à la fin des années 1960, les premiers algorithmes dits de parcimonie. Les ordinateurs calculent ce que ne peut faire le cerveau humain : la congruence maximale des distributions de caractères chez les espèces étudiées. Les parentés sont exprimées sous la forme d'un arbre &endash; le cladogramme &endash; dénommé « arbre de longueur minimale ». La congruence maximale des homologies équivaut en effet à l'arbre qui renferme le minimum de transformations d'états les uns dans les autres (pas évolutifs).

La systématique cladistique, en se fondant sur la notion d'homologie, se trouve alors à la fois être dans la droite ligne des idées darwiniennes et offrir une mathématisation nouvelle parfaitement adaptée au traitement informatique, alors en pleine émergence.

À cette époque, les systématiciens ont les moyens techniques d'analyser un nouveau type de caractères : les caractères génétiques. Ils prennent en compte la structure des protéines, puis celles de l'ADN et de l'ARN. Ces caractères, dits discrets (discontinus), se conforment apparemment bien à la notion d'homologie. La comparaison des séquences permet d'émettre des hypothèses de transformations d'états : tel acide aminé se substituant à tel autre, tel nucléotide à tel autre. Dans les années 1980, avec l'essor des ordinateurs personnels, la construction des arbres phylogénétiques utilisant des caractères morphologiques et moléculaires, ou bien séparément ou bien simultanément, se multiplie au point de devenir routinière. Très vite, pourtant, de nouveaux algorithmes de regroupement, non parcimonieux, sont mis au point et consacrent la fin de l'alliance méthodologique un temps entrevue par la cladistique.

Cependant, avant d'aborder cette dernière étape de l'histoire des classifications, il convient d'évoquer l'autre révolution en matière de systématique : la « révolution phénétique » ou l'école de la taxinomie numérique. En effet, dans les années 1960, des mathématiciens intéressés par les classifications biologiques et des biologistes fortement nourris de statistiques proposèrent d'abandonner la recherche des homologies pour se consacrer au calcul du degré de ressemblance afin de regrouper les espèces. Inventant un nouveau langage et de nouvelles méthodes, proposant des algorithmes de calculs des ressemblances, ils firent référence, à l'instar de l'Américain Robert Sokal, à l'objectivité des mathématiques. L'indice de ressemblance calculé entre deux espèces (unités taxinomiques opérationnelles ou U.T.O.) ne devrait pas souffrir d'ambiguïté. De la sorte, les arbres de parenté construits par les phénéticiens, appelés phénogrammes, n'ont pas vocation à raconter l'histoire de l'évolution et n'expriment que la ressemblance toutes catégories confondues (qu'il s'agisse d'états primitifs, d'états dérivés ou encore d'homoplasies).

Cependant, très vite, ce qui était au départ une nouvelle école de classification devint surtout une école de constructions d'arbres. Et l'on s'aperçut qu'avec les mêmes données, différents calculs d'indices de ressemblance pouvaient donner des groupements différents, ce qui marqua la fin de l'objectivité mathématique. Il n'en reste pas moins vrai que les statisticiens n'arrêtèrent pas de proposer de nouveaux calculs, fournissant ainsi aux systématiciens des logiciels efficaces de constructions d'arbres de similitude, tous baptisés arbres phylogénétiques.

(suite)


L'école phénétique, vite abandonnée par les systématiciens morphologistes attachés aux caractères et aux hypothèses d'homologie, persista longtemps en biologie moléculaire jusqu'au seuil du xxie siècle, lorsque s'imposa un autre type d'approche proposé par les statisticiens : les méthodes probabilistes.

On imagine la fureur des systématiciens évolutionnistes devant ce qu'ils considéraient comme une récession. Pourtant, la phénétique entraîna de nombreux phylogénéticiens : il suffit d'admettre a priori que le mélange des trois catégories de ressemblance et la fusion de l'homologie et de l'homoplasie ne présentent pas trop d'inconvénients &endash; s'annulent en quelque sorte &endash; pour considérer qu'un schéma de ressemblance globale peut être un schéma phylogénétique. Comme en cladistique, les données moléculaires furent donc intégrées dans les approches phénétiques dès la fin des années 1960.


Face aux défis phylogénétiques
Aujourd'hui, les arbres construits à partir des caractères moléculaires sont majoritairement construits par les méthodes probabilistes qui, selon l'algorithme utilisé, sont dites de « maximum de vraisemblance » ou « bayesiennes ». Pourquoi de telles méthodes propres aux caractères moléculaires ? Il est vite apparu que les substitutions multiples affectant des régions données (sites) de tel ou tel gène peuvent brouiller le message et empêcher d'émettre toute hypothèse d'homologie. Comment éviter cet écueil autrement qu'en tournant le dos aux molécules ? Une solution est de modéliser l'évolution des gènes. En fonction d'un modèle d'évolution posé a priori, on essaie de voir quel est l'arbre le plus probable sachant les séquences de gènes et les taxons étudiés De la sorte, même avec des gènes se révélant dépourvus de signal en analyse de parcimonie, on peut, grâce à l'usage de modèles évolutifs, obtenir des arbres qui peuvent faire sens. Toutefois, la constitution d'un modèle d'évolution moléculaire est un vaste problème et le choix dans les différents modèles proposés par les logiciels standards est très grand. Ces modèles, de surcroît, permettent au systématicien de poser des hypothèses de datation des branchements de l'arbre, indépendamment des données paléontologiques. Bref, on comprend l'engouement des biologistes statisticiens pour ces méthodes.

Il n'est pas besoin de préciser que la critique mutuelle que se font parfois les partisans des méthodes probabilistes et les partisans des méthodes cladistiques peut se révéler aussi féroce que lors des débats des années 1970 entre les évolutionnistes, les cladistes et les phénéticiens. Certains considèrent que les résultats tirés des approches probabilistes sont un nuage de fumée, d'autres que la morphologie n'est pas fiable et a fait son temps. L'enjeu est toujours le même : imposer un système de référence général, ou tout au moins installer au premier plan sa propre école méthodologique. En outre, les groupements d'espèces obtenus par ces méthodes sont formalisés comme l'est tout groupement d'espèces obtenu par traitement de l'homologie et de l'homoplasie. Des groupes impossibles à distinguer à l'aide de caractères morphologiques sont obtenus au moyen de caractères moléculaires traités sur le mode probabiliste.

Aussi, pour terminer par des exemples empruntés aux mammifères, citera t-on un succès de la biologie moléculaire avec l'identification du groupe Cetartiodactyla, incluant dans la nature actuelle les Cetacea (baleines et cachalots) et les Artiodactyla (cochons, hippopotames, chameaux et ruminants), voire la proche parenté entre les baleines et les hippopotames. À l'inverse, un groupe comme les Afrotheria (qui inclut notamment des formes aussi distinctes que les éléphants, les macroscélides et les taupes dorées), obtenu par l'analyse probabiliste de différents gènes, est actuellement une sévère pomme de discorde entre les systématiciens morphologistes et molécularistes. Aucun état dérivé de traits anatomiques ne permet pour l'instant d'associer ces différents mammifères. En outre, les horloges moléculaires estiment que la différenciation non seulement des Afrotheria mais aussi des grands groupes de mammifères placentaires aurait été pleinement réalisée dès le Crétacé, bien avant que les premiers représentants desdits groupes soient connus.»