Qu'est-ce qu'une espèce ?

L'espèce est un concept*



* un concept est une construction logique qui permet de relier des connaissances (ici, des connaissances scientifiques): c'est une notion qui n'est pas figée mais qui évolue en fonction des découvertes.
Quelques exemples d'autres concepts non scientifiques : table, chaise, arbre, chien... ou scientifiques:
cellule...

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1 - Des définitions...

Une espèce est un groupe d'individus qui se ressemblent, vivent ensemble et dérivent les uns des autres.


Cette définition est voisine de celle de Lamarck: «un ensemble» ou «une collection d'individus semblables ou presque semblables», «qui furent produits par d'autres individus pareils à eux» (La naissance du transformisme, Lamarck, entre Linné et Darwin, Goulven LAURENT, Collection inflexions, Vuibert/Adapt, 2001, p 19).

Cette définition, historique, mérite d'être enseignée au lycée... mais pas seule.

Une espèce est une communauté reproductive de populations* (reproductivement isolée d'autres communautés) qui occupe une niche** particulière dans la nature (Mayr, 1989)


* le terme de population est employé par Mayr dans un sens bien particulier : il s'agit d'un groupe d'individus reliés génétiquement les uns aux autres. L'isolement reproductif pour un généticien des populations c'est un isolement génétique....

**niche écologique = « ensemble des conditions dans lesquelles vit et se perpétue la population» (Hutchinson - 1957) ; ... si l'habitat est l'adresse d'une espèce, la niche écologique est sa profession... (d'après Elton, naturaliste d'Oxford, 1927)

 


Mayr (1989), cité dans l'article "A propos de la notion d'espèce", Louis Allano et Alex Clamens, Biologie-Géologie (Bulletin de l'APBG), n°3-1996, 471-472 )

La définition communautaire se trouve partout. Pour la niche écologique, voir par exemple l'article de R. Hengeveld (abstract disponible): Mayr's Ecological Species Criterion, Systematic Zoology, Vol. 37, No. 1 (Mar., 1988), pp. 47-55

Pour une discussion plus complète des idées de Mayr voir par exemple: Ernst Mayr and the modern concept of species, Kevin de Queiroz, PNAS | May 3, 2005 | vol. 102 | Suppl. 1 | 6600-6607

Cours de 1èreS:
Les niveaux d'organisation du vivant
Le gène, unité fonctionnelle synthétique
Que suis-je ? À la recherche de marqueurs de l'identité biologique de l'homme


La distinction que fait Mayr est fondamentale: l'espèce n'est pas définie comme un ensemble d'individus mais comme une communauté repoductive... de plus la ressemblance est ignorée (non nécessaire et non signifiante...; ce qui, bien sûr, est très discutable...). Ce qui se cache sous cette définition est ce que l'on appelle la génétique des populations, issue du darwinisme anglo-saxon. Du point de vue pratique, l'espèce est un pool de gènes.


C'est cette définition que l'on nous demande d'enseigner. Cependant, il est préférable d'en montrer les limites... car, du fait des avancées de la génétique, la définition d'une espèce comme un pool de gènes est devenue pour le moins discutable (voir aussi le cours de 1ère S : le gène, unité fonctionnelle synthétique).. Son importance en génétique des populations est plus historique que prometteuse.


Un dossier intéressant : Sauve qui peut n°10 , 1998 : l'espèce dans le monde végétal: http://www.inra.fr/ dpenv/so.htm#s10 (je recommande l'article de Louis Thaler)




Je conseille aussi l'intervention de Philippe Lherminier - L'espèce entre résilience et sérendipité - lors du séminaire 2012 de la SFBT à St Flour. Pour lui l'espèce est un groupe naturellement homéostatique. Cette formulation est très intéressante. Sa notion de sérendipité n'est pas loin de la création continue de Bergson. Je demande du temps pour assimiler ses notions....

Une espèce biologique est la forme à laquelle appartient un être vivant de par sa naissance à partir d'un autre être vivant.


Cette définition, peut-être plus philosophique que biologique, a l'avantage d'être exprimée dans le langage courant. Elle demande une certaine culture philosophique pour comprendre le mot forme qui est d'une grande richesse philosophique (l'article "forme" de Jean Petitot dans l'E.U. est une référence).
Elle repose sur une vision continue de l'espèce (voir ci-dessous).

C'est cette définition qui a ma préférence et que je propose à mes élèves, comme ouverture supplémentaire.




2 - Un peu de philosophie

l'espèce est un continu


L'espèce n'est pas un ensemble discret; elle n'est pas issue du groupe; elle précède le groupe. L'espèce peut être décrite (partiellement) par les propriétés communes des individus du groupe mais ne résulte pas du groupe. Chaque individu vivant appartient à une espèce; c'est donc quelquechose d'hérité: une propriété de l'être vivant en tant que descendant d'un autre individu. On retrouve donc le problème de la spéciation ou comment une espèce (nouvelle ou même la première) apparaît-elle ? C'est un sérieux problème qui ne trouvera une ébauche de solution qu'en classe de terminale (voir par exemple l'ancien cours).


une analogie : espèce / société


Une société est composée d'individus mais elle ne peut pas être réduite à l'ensemble des individus qui la composent. Une société commence dans le temps et se finit dans le temps. Elle commence avec quelques individus, peut en comporter beaucoup, ou moins, sans changer de nature. Elle disparaît avec la disparition de ses membres.


fiche Qu'est-ce que l'évolution ?


L'histoire d'une espèce...


La première attitude est de dire que l'espèce n'est pas immortelle car elle ne vit pas, au contraire des individus. Lorsqu'une espèce est réduite à un seul individu qui ne se reproduit pas l'espèce s'éteint. On ne devrait alors pas parler de la vie de l'espèce mais de son histoire. Il serait plus judicieux de dire que l'espèce apparaît puis disparaît au cours de l'évolution. L'évolution devient l'histoire de la succession des espèces.
L'évolution est l'histoire des espèces...


L'espèce ne meurt pas mais se transforme, comme la vie...


Mais on peut aussi pousser le raisonnement philosophique encore un peu plus loin dans une autre direction. Chaque être vivant étant mortel, sa vie individuelle a une fin. Mais la vie peut aussi être considérée comme un continu (prégnance, avec le vocabulaire de Thom*) sur lequel émergent les vies individuelles, discrètes (saillances) (voir opposition continu-discret sur une page spéciale). Cette notion de vie continue est représentée en biologie par l'espèce, une entité qui survit à la mort de ses représentants (pas de tous sinon elle s'éteint). Dans ce cas les espèces ne disparaissent pas au cours des temps géologiques mais se transforment.
Dans ce cas la mort ne fait pas partie de cette définition de la vie et l'espèce est immortelle. L'évolution est l'histoire de la vie ou de la transformation des espèces.
Il va sans dire que je préfère cette vision.
L'évolution est l'histoire de la vie ou de la transformation des espèces au cours des temps géologiques...
Pour finir, un clin d'œil à la vision bergsonienne du temps comme durée (conscience): l'évolution, plutôt qu'une histoire (faite d'événements), est une dynamique, qui laisse la place à des interprétations moins matérialistes.
L'évolution c'est la durée de l'espèce.

* le vocabulaire du mathématicien René Thom est expliqué sur la page des 4 causes.



Comme la notion de reproduction et celle d'espèce sont indissociables, la notion d'espèce est donc inséparable de la notion d'évolution. Définir l'évolution au niveau d'un seul individu n'est pas possible, même si ce sont des individus que l'on compare, soit au sein d'une même espèce, soit entre espèces que l'on considère comme différentes.




Remarque (voir cours de seconde):
La reproduction n'est pas une création d'un être vivant à partir d'un autre être vivant mais la création d'un nouvel être vivant au sein d'une espèce.
Dans le cadre de la vision continue de la vie et de l'espèce, la reproduction d'un individu au sein de l'espèce n'est donc plus la capacité de créer un nouvel être vivant à partir d'un individu, ce qui va fortement contre l'idée que le moins ne peut donner le plus; mais si c'est la réalisation des conditions nécessaires à l'apparition d'une nouvelle vie individuelle - saillance* - (au sein du continu de l'espèce - prégnance*), cela devient beaucoup plus simple: c'est l'apparition d'une discontinuité dans un continu.