Qu'est-ce que la vie ?

La vie est un phénomène*.




La vie n'est pas un problème qui posséderait des solutions raisonnables.


La vie reste un mystère**.




* un phénomène est quelque chose de donné, d'observable,
c'est l'objet de la science ("toute science est une phénoménologie");
ce n'est pas un concept construit par la raison
(même si l'on peut construire un concept à partir du phénomène).

Tout homme peut proposer avec son intelligence ou son imagination une explication de la vie qui l'engage.



** Quelques mystères:
la mort, la souffrance, la religion, la beauté, la vérité, l'amour, la liberté...

Pascal: « la dernière démarche de la raison est de reconnaître qu'il y a une infinité de choses qui la dépassent ».


Une formulation scientifique:


La vie résulte de 3 grandes fonctions ou fonctions globales :
la fonction de nutrition (se nourrir); la fonction de reproduction (se multiplier); la fonction de relation (communiquer).




La nutrition regroupe tous les phénomènes de prise ou de rejet de matière et d'énergie entre l'organisme et son milieu ou entre les différentes cellules de l'organisme.



La reproduction est une multiplication et se définit au niveau de l'organisme (reproduction pour l'espèce) ou au niveau d'une cellule (reproduction pour le développement ou la croissance).



Les relations correspondent à l'aspect social de la vie. Elles regroupent tous les phénomènes de communication entre l'organisme et son milieu ou entre les cellules dans l'organisme (déplacement, défense, recherche de nourriture...).




Les fonctions globales se recoupent et ne correspondent pas à des espaces séparés. Tout phénomène vivant possède un aspect qui s'explique par les trois fonctions simultanément.


Tout être vivant se nourrit, se reproduit et est social.

*Pour une explication du vocabulaire Thomien voir la page sur les 4 causes d'Aristote en SVT


Dans une interprétation moins classique on peut nommer ces fonctions des champs (comme le champ de gravité en physique), ou des prégnances* selon le vocabulaire de René Thom);

l'être vivant est une forme (saillance*) qui émerge du continu de la matière (au sens aristotélicien) et du temps.



L'être vivant est défini à l'intersection des 3 fonctions globales du vivant




On pourrait proposer un autre regroupement des fonctions globales du vivant:


un essai de représentation d'un continu de l'espèce (défini par le champ de reproduction) et des individus (discontinus) à l'intersection des champs de nutrition et de relation...


- la reproduction est définie au niveau de l'espèce et non pas uniquement de l'individu
- la multiplication cellulaire est un phénomène très différent de la reproduction, même si toute reproduction demande une multiplication cellulaire. Je propose de la placer avec les fonctions de nutrition, qui englobe aussi la croissance.
- les fonctions de relations, trop hétérogènes peuvent aussi être scindés en fonctions sociales, fonctions sensitives et fonctions internes, qui pourraient être placées avec les fonctions de nutrition.

 

Comment les cellules se multiplient-elles ?


Fonction globale de l'espèce: se reproduire (reproduction);
cette fonction instaure un régime discontinu (la naissance d'un nouvel individu puis sa mort) dans un concept continu (l'espèce).

Fonctions globales de l'individu:
ces fonctions sont continues au sein d'une forme limitée par des discontinuités (l'individu)
- se nourrir (s'alimenter, se développer, croître, relations internes...)
- se lier socialement (communication, sens externes...)


Une formulation personnelle :


la vie est un travail:


un travail de nutrition, de reproduction et de relation


La distinction qui me semble la plus pertinente pour séparer les différentes conceptions de la vie :


la vie comme continu


« ...la conscience est coextensive à la vie ...[...] les choses se passent comme si un immense courant de conscience [...] avait traversé la matière pour l'entraîner à l'organisation et pour faire d'elle, quoiqu'elle soit la nécessité même, un instrument de liberté. [...] Mettons donc matière et conscience en présence l'une de l'autre : nous verrons que la matière est d'abord ce qui divise et ce qui précise. Une pensée, laissée à elle-même, offre une implication réciproque d'éléments dont on ne peut dire qu'ils soient un ou plusieurs : c'est une continuité et dans toute continuité il y a de la confusion. pour que la pensée devienne distincte, il faut bien qu'elle s'éparpille en mots [...] D'autre part la matière provoque et rend possible l'effort. la pensée qui n'est que pensée, l'œuvre d'art qui n'est que conçue, le poème qui n'est que rêvé, ne coûtent pas encore de la peine; c'est la réalisation matérielle du poème en mots, de la conception artistique en statue ou tableau, qui demande un effort. L'effort est pénible, mais il est aussi précieux, plus précieux encore que l'œuvre où il aboutit, parce que, grâce à lui, on a tiré de soi plus qu'il n'y avait, on s'est haussé au-dessus de soi-même[...] ... partout où il y a joie, il y a création...»



La conscience et la vie, H. Bergson, 1911




la vie comme discontinu


Pour Buffon, « si la matière cessait de s'attirer » est une supposition équivalente de « si les corps perdaient leur cohérence (17) ». En bon newtonien, Buffon admet la réalité matérielle et corpusculaire de la lumière [...] « On peut rapporter à l'attraction seule tous les effets de la matière brute et à cette même force d'attraction jointe à celle de la chaleur, tous les phénomènes de la matière vive. J'entends par matière vive, non seulement tous les êtres qui vivent ou végètent, mais encore toutes les molécules organiques vivantes, dispersées et répandues dans les détriments ou résidus des corps organisés ; je comprends encore dans la matière vive, celle de la lumière, du feu et de la chaleur, en un mot toute matière qui nous parait active par elle-même (20) . »
Voilà, selon nous, la filiation logique qui explique la naissance de la théorie des molécules organiques. Une théorie biologique naît du prestige d'une théorie physique.
La théorie des molécules organiques illustre une méthode d'explication, la méthode analytique, et privilégie un type d'imagination, l'imagination du discontinu. [...] La vie d'un individu, animal ou végétal, est donc une conséquence et non pas un principe, un produit et non pas une essence. Un organisme est un mécanisme dont l'effet global résulte nécessairement de l'assemblage des parties. La véritable individualité vivante est moléculaire, monadique. « La vie de l'animal ou du végétal ne paraît être que le résultat de toutes les actions, de toutes les petites vies particulières (s'il m'est permis de m'exprimer ainsi) de chacune de ces molécules actives dont la vie est primitive et paraît ne pouvoir être détruite : nous avons trouvé ces molécules vivantes dans tous les êtres vivants ou végétants : nous sommes assurés que toutes ces molécules organiques sont également propres à la nutrition et par conséquent à la reproduction des animaux ou des végétaux. Il n'est donc pas difficile de concevoir que, quand un certain nombre de ces molécules sont réunies, elles forment un être vivant : la vie étant dans chacune des parties, elle peut se retrouver dans un tout, dans un assemblage quelconque de ces parties. » (Histoire des Animaux, chapitre X).


Source
La théorie cellulaire (Canguilhem)



Pour dire un mot d'autres conceptions scientifiques de la vie qui ne sont PAS INCOMPATIBLES:





On se reportera avec profit à l'article "vie" de Canguilhem dans l'Encyclopedia Universalis

Une épistémologie qui concilie matière et évolution



Je recommande une conférence du philosophe des sciences André Pichot au Groupe Séminaire de l'ENS Lyon du jeudi 11 mars 2004 et accessible par internet : Histoire des théories biologiques (Comparaison et articulation des explications mécanistes, chimiques, et historiques en biologie)


André Pichot identifie 3 directions dans lesquelles l'explication scientifique de la vie s'est dirigée et se dirige: le mécanisme, la chimie et l'histoire... passionnant.


J'ai recopié la conclusion de son ouvrage: Histoire de la notion de vie, André Pichot, Gallimard, 1993, pp 937-954 qui a pour titre: LA NOTION DE VIE AUJOURD'HUI; il y présente simplement une conception de la vie qui réconcilie matérialisme et évolution... à conseiller à tous.



Un incontournable très abordable: 16 euros

+ la vie comme animation*


«Parmi les corps naturels [i.e. non fabriqués par l'homme] certains ont la vie et certains ne l'ont pas. Nous entendons par vie le fait de se nourrir, de croître, et de dépérir par soi-même» ( Aristote, De l'âme, II, 1). Et, plus loin, Aristote dit que la vie est ce par quoi le corps animé diffère de l'inanimé. (Encyclopedia Universalis, Vie)


Cette définition d'Aristote est très proche de la définition proposée ci-dessus.
Attention l'âme au sens d'Aristote est la forme qui donne l'acte d'être à la matière qui est un continu-puissance (ce n'est pas une âme immatérielle ou spirituelle).



*anima, anemos = le souffle, l'âme








+ la vie comme mécanisme


«Je désire que vous considériez que ces fonctions suivent toutes naturellement, en cette Machine, de la seule disposition de ses organes, ne plus ne moins que font les mouvements d'une horloge ou autre automate, de celle de ses contrepoids et de ses roues; en sorte qu'il ne faut point à leur occasion concevoir en elle aucune autre Âme végétative ni sensitive, ni aucun autre principe de mouvement et de vie, que son sang et ses esprits agités par la chaleur du feu qui brûle continuellement dans son cœur et qui n'est point d'autre nature que tous les feux qui sont dans les corps inanimés.» ( Descartes, Traité de l'homme (1633, mais publié seulement en 1662-1664)


Si l'analogie mécanique (l'être vivant est comme une formidable machine) n'est plus guère utilisée, la compréhension de l'être vivant comme un sac d'enzymes (ce que l'on pourrait appeler une vision moléculariste biochimique) est par contre courante.

« La caractéristique unique, universelle et essentielle des êtres vivants est la possibilité de conserver la structure chimique (ADN) au sein de laquelle est écrit le code génétique ». (Jacques Monod, Pour une éthique de la connaissance, Paris, La Découverte, 1988, p. 144)










+ la vie comme organisation*


« L'Âme est cet habile organiste* qui forme lui-même ses organes avant de les faire jouer [...]. C'est un jeu remarquable que, dans les orgues inanimées, l'organiste est différent de l'air qu'il y pousse; au lieu que dans les orgues* animées l'organiste et l'air qui les fait jouer sont une seule et même chose, je veux dire l'âme qui est extrêmement semblable à l'air ou au souffle» (Daniel Duncan, Histoire de l'animal, ou la Connaissance du corps animé par la mécanique et par la chimie, 1686).

Dans cette définition l'âme du vivant devient spirituelle.


Considérant que « l'idée de vie est réellement inséparable de celle d'organisation », Comte définit l'organisme par le consensus de fonctions « en association régulière et permanente avec l'ensemble des autres ». Consensus est la traduction latine du grec sumpatheia. La sympathie, par laquelle les états et les actions des parties se déterminent les uns les autres par communication sensitive (Comte, Cours de philosophie positive, III, 1838 ; leç. XL-XLIV).)


Sans utiliser les mots de vie ou de vivant, Kant sous-entend que le corps organique n'est pas seulement organisé, il est auto-organisateur. « Dans un tel produit de la nature, chaque partie, comme elle n'existe qu'en vertu de toutes les autres, est conçue aussi comme existant pour les autres et pour l'ensemble, c'est-à-dire comme instrument (organe) ; et cela n'est pas assez [...], mais elle doit être considérée comme organe engendrant les autres (et cela réciproquement), or aucun instrument de l'art ne peut être tel, mais seulement ceux de la nature. » (Kant, Critique du jugement (1790))

* organum = orgue (l'instrument de musique**) d'où viennent les mots "organe" ou "organisation"


Cependant, peu de biologistes osent présenter les fonctions comme l'expression de dynamiques modélisables et donc accessibles par les mathématiques. C'est pourtant un projet envisageable.

Les biologistes matérialistes qui expliquent les propriétés de l'organisme (les fonctions globales) par l'émergence de propriétés nouvelles à partir de réseaux d'interactions entre molécules individuelles sans finalité, sont dans une vision mécaniciste et organisationnelle.



**Cette comparaison (organisme-orgue) est encore d'actualité: voir The music of life de Denis Noble, professeur de physiologie à l'université d'Oxford qui participe au projet du physiome (mot qui désigne le niveau d'intégration supérieur qui chapeaute le génome et le protéome). La version française a été publiée au Seuil en janvier 2007.


Denis Noble, Principes de la biologie des systèmes (résumé)
« Pour moi, la biologie des systèmes est une théorie de la relativité biologique. Son principe premier est qu'il n'existe pas de niveau privilégié de causalité. Ceci est nécessairement vrai dans des systèmes qui possèdent des niveaux multiples s'influençant par des boucles de rétroaction montantes et descendantes. Les gènes et les protéines ne peuvent rien faire par eux-mêmes. Il y a de nombreuses formes de causalité descendante qui jouent sur le génome avec des résultats très différents selon les cellules et les circonstances. De ce fait le concept de "réseau génétique" est fallacieux, de même que l'idée d'un programme génétique. En fait, il n'y a aucun programme à aucun niveau. Le dogme central de la biologie moléculaire est erroné. L'ADN n'est pas le seul support de l'hérédité et l'importance des mécanismes épigénétiques n'a pas encore été suffisamment appréciée. La persistance des effets épigénétiques sur plusieurs générations les rend sensibles à la sélection naturelle. Il y a donc peut-être une forme de lamarckisme qui attend en coulisse. Dans cette conception de la biologie, les gènes ne sont pas égoïstes mais prisonniers de l'organisme. J'emploierai des exemples de modélisation pour illustrer tous ces principes.»



Colloque de biologie théorique : " A quoi sert la modélisation ?", Centre Cavalliès, Paris : "Imitations, modèles, schèmes", 23 janvier, 2007, intervention de Denis Noble, Université d'Oxford (résumés)


Une blague pour finir:

La vie est une maladie mortelle sexuellement transmissible (auteur ?)