Modèles


article "forme", Jean Petitot, Encyclopedia Universalis; Remarks on the geometry of micelles, bilayers and cell membranes, Y. BOULIGAND, 1999, Liquid Crystals, vol. 26, n°4, 501-515; Nouveau regard sur l'origine de l'homme, Anne DAMBRICOURT-MALASSÉ, La Recherche, 286, avril 1996, 45-51
La notion de modèle dans les sciences expérimentales (à l'attention de Gérard Vidal...) conduit toujours à une philosophie, à une compréhension de la matière, de l'être vivant, du temps... De nombreux modèles changent en ce début de siècle. Essayons de prendre le train en marche.

Remarques:
* J'avais placé ici en 1998 une distinction entre modèles externes (décrivant le comportement des observations de l'ensemble d'un système) et modèles internes (faisant la synthèse des lois décrivant le comportement de toutes les sous-parties d'un système) à la suite d'un article de Jacques Oksman dans Pour la Science (258, avril 1999, 90-95), mais je ne la trouve plus assez pertinente; il est donc temps de l'abandonner. Même si je l'ai utilisée notamment dans la description des modèles évolutifs (ancien cours de terminale) et physiologiques (pression artérielle). En 2005 je serai tenté de la reprendre cette fois comme l'expression de la différence entre les modèles réductionnistes et structuraux (voir par exemple la page sur les niveaux d'organisation du vivant).
* 11/2004; j'ai commencé une page sur la théorie des modèles de René Thom.... qui s'est ettofée de deux autres pages (11/2005)...
C'est maintenant la page présente qu'il me faudrait revoir entièrement mais je remets cela à plus tard.

Les lignes ci-dessous, de Jean Petitot , sont à mon avis le signe de l'émergence d'un nouveau paradigme (article "forme" de l'Encyclopedia Universalis; mots signalés, commentaires et intertitres ajoutés):
Le paradigme néodarwinien est insuffisant pour comprendre la genèse de la forme
(sur ce sujet on peut lire les deux premiers ouvrages de Rosine Chandebois et principalement Le gène et la forme (ou la démythification de l'ADN), Rosine CHANDEBOIS, 1989, Ed. Espaces 34 )
« Actuellement, on considère que le néo-darwinisme - c'est-à-dire la synthèse de la théorie darwinienne de l'évolution et de la génétique moléculaire - fournit un cadre approprié pour la pensée de la forme en biologie.(...) Or le paradigme néo-darwinien est un système conceptuel dont l'apparente «évidence» rend précisément inintelligibles les phénomènes morphologiques. Il ne peut que les attribuer à un hasard évolutif en niant toute nécessité dans l'ordre des formes, toutes «lois» de la forme.
Cela est essentiellement dû au fait que, dans ce paradigme, on identifie subrepticement le concept de contrôle à la catégorie de cause. Le génome contrôle la forme et le développement. Son contrôle permet donc de maîtriser ses effets. Mais cela ne signifie pas pour autant qu'il n'existe pas de contraintes autonomes et spécifiques auxquelles doivent satisfaire les formes. En faisant équivaloir le contrôle génétique à une cause déterminante, on postule sans plus d'enquête qu'il n'y a rien à expliquer du côté de ce qui est contrôlé. Conception historiciste et dualiste, le néo-darwinisme postule l'existence d'une instance organisatrice de la matière. C'est un réductionnisme matérialiste qui admet le primat du fonctionnel, réduit la connexion structurale et l'organisation positionnelle des parties à une simple contiguïté spatiale, et subordonne la «finalité interne» à la «finalité externe», c'est-à-dire à l'adaptation et à la sélection. Pour lui, la structure se réduit à l'hérédité. Elle est donnée historiquement, et sa seule nécessité est celle de son évolution. Elle n'est donc que l'artefact de son contrôle, l'expression épigénétique de son programme génétique.
La compréhension de la forme nécessite une théorie des structures
Le rationalisme structural souligne dans ce point de vue la difficulté qu'il y a à faire de l'histoire non seulement la cause de l'évolution, mais également celle de la stabilité et de l'invariance des espèces. Pour lui, l'organisme n'est pas seulement un système physico-chimique complexe génétiquement contrôlé, mais aussi une structure, c'est-à-dire une totalité organisée par un système de relations internes satisfaisant à des «lois» formelles. Son hypothèse est que l'expression du génotype par le phénotype demeure incompréhensible tant qu'on n'introduit pas une information positionnelle contrôlant la différenciation cellulaire. Il y aurait dans les êtres organisés une efficacité de la position, la position sélectionnant certains régimes métaboliques en déclenchant certains gènes. Et c'est la compréhension d'une telle information positionnelle qui constitue le problème théorique central. Les caractères principaux des structures organisationnelles sont: la genèse dynamique, l'autorégulation et la stabilité structurelle; l'équipotentialité, à savoir le fait que les structures ne se réduisent pas à des interactions de composants mais incluent une détermination réciproque de places, de valeurs positionnelles; l'équifinalité et l'homéorhèse (l'épigénotype chez Waddington), à savoir le fait que le développement est lui-même structurellement stable comme processus, son état final étant dans une large mesure indépendant de son état initial; la clôture des structures élémentaires et l'existence de contraintes, de «lois» de la forme; la «générativité» des formes, l'ouverture de l'ensemble clos des structures élémentaires vers la complexité.
René Thom propose un néo-vitalisme géométrique et morphologique
C'est pour de telles raisons que René Thom n'a pas hésité à la fin des années 1960 à proposer une approche proprement
morphodynamique et structurale des processus de morphogenèse biologique. Cela a suscité une violente controverse car, ce faisant, il a réactivé de nombreux thèmes tabous du vitalisme. Mais il faut bien voir que son néo-vitalisme est géométrique et méthodologique, et non plus spéculatif et métaphysique. Le défi est d'arriver à intégrer les mécanismes métaboliques cellulaires locaux en un tableau cohérent de la dynamique globale de l'organisme. Il est d'arriver à traduire en contraintes pour une générativité des formes les principes a priori de localité (la structure comme système de connexions spatiales) et de finalité (le contrôle des corrélations par la synergie fonctionnelle globale). Dans le schématisme morphodynamique, l'a priori de localité se trouve traduit par la contrainte de stabilité structurelle impliquant la généricité des bifurcations des régimes locaux (des «transitions de phases» métaboliques) et l'a priori de finalité par l'attribution d'une signification fonctionnelle à la différenciation cellulaire, autrement dit par une interprétation fonctionnelle de la topologie des attracteurs des dynamiques métaboliques locales. Ce dernier principe semble faire problème. Il devient pourtant assez naturel si l'on remarque qu'il est impossible, pour des raisons de principe, d'accéder en biochimie à des descriptions fondamentales explicites et exactes, et cela pour deux raisons: parce que les systèmes différentiels de la cinétique chimique métabolique sont des systèmes non linéaires énormes présentant certainement tous les subtils phénomènes de complexité et de chaos déterministe que présentent déjà les systèmes non linéaires simples (attracteurs étranges, sensitivité aux conditions initiales, ensembles de bifurcation non stratifiés, etc.); et parce que la catalyse enzymatique dépend de la configuration tertiaire des protéines.
Cette impossibilité impose d'en revenir à une description structurale du métabolisme, par exemple, comme l'admettent tous les biologistes, en termes de «cybernétique» et de théorie des systèmes. Mais on rencontre là un obstacle épistémologique incontournable. Car on ne saurait se borner à postuler que, par une sorte d'harmonie préétablie, la matière vivante est toute prête à «incarner» une cybernétique formelle. Au contraire, tout le problème est d'arriver à comprendre comment peuvent «émerger» du substrat biochimique et de ses dynamiques métaboliques locales des structures qui, une fois stabilisées dans leur activité fonctionnelle, deviennent susceptibles de la description schématique qu'est la modélisation systémique. Thom a toujours été catégorique sur ce point:
«L'approche purement technologique de la cybernétique laisse intact [...] le mystère de la genèse de l'être vivant et de son développement au stade embryonnaire et juvénile.» Ce genre de théories «soulève de très graves difficultés dès qu'on veut passer du schématisme abstrait à une réalisation matérielle dans l'espace-temps» (R.Thom, Modèles mathématiques de la morphogenèse, Christian Bourgois, Paris ,1980, p. 178). Il n'est valable «que pour des mécanismes partiels, tout montés, et en pleine activité fonctionnelle». «[Il] ne saurait en aucun cas s'appliquer à la structure globale des êtres vivants, à leur épigenèse et à leur maturation physiologique» (R.Thom, Stabilité structurelle et morphogenèse, Benjamin, New York, Edisciences, Paris, 1972, p. 207 ). Il faut donc arriver à engendrer les cinématiques formelles des descriptions systémiques à partir des dynamiques métaboliques sous-jacentes et, pour cela, comprendre de façon générale comment des descriptions structurales et systémiques peuvent être associées à des bifurcations de systèmes dynamiques, à des singularités de processus, à des phénomènes critiques.
Le «
vitalisme» géométrique et méthodologique n'a donc rien d'un holisme métaphysique. Son propos est de ramener à une racine morphologique commune le biochimique et le cybernétique. «Écartelée entre ces deux modèles, le modèle atomique ou réductionniste d'un côté, le modèle cybernétique de l'autre, tous deux visiblement insuffisants, la biologie théorique pourra-t-elle sortir de l'impasse? Le seul espoir d'en sortir est de reconnaître qu'il n'y a pas de hiatus entre les deux types de systèmes, et qu'on peut les plonger dans une famille continue qui les relie tous les deux. Cela obligera à renoncer - au moins provisoirement - à ce qui fait l'attrait des deux modèles: l'aspect quantitatif et calculable du premier, l'aspect diagramme-cybernétique du second. Il faut revenir à cela seul qui reste commun aux deux types de systèmes, c'est-à-dire leur extension spatiale, leur morphologie» (R.Thom, Modèles mathématiques de la morphogenèse, Christian Bourgois, Paris ,1980, p. 145). Il faut pouvoir interpréter en termes de théorie qualitative des systèmes dynamiques et de leurs bifurcations les concepts fondamentaux de la théorie des systèmes. L'enjeu est clair, et clairement fondamental. Il s'agit de dépasser le conflit entre le physicalisme (primat de la physico-chimie des substrats) et le fonctionnalisme structural (primat des schèmes abstraits d'organisation). L'idée directrice en est que cela est possible à partir de la mathématisation, en termes de dynamique générale, du niveau morphologique conçu à la fois comme tiers terme et comme niveau autonome. Des phénomènes comme ceux d'induction embryologique ou de régulation, des problèmes comme ceux des rapports entre structure et fonction ou de la classification des plans d'organisation, des concepts comme ceux de champ morphogénétique ou d'épigénotype exigent une conception à la fois biochimique et topologique du formalisme structural qui régit les mécanismes de l'embryogenèse. C'est l'exigence d'un tel «mixte» de biochimie et de topologie qui explique que le prolongement du rationalisme physique à la biologie ne puisse pas être direct et passe par la schématisation morphodynamique des catégories structuralistes.»

Même si on fait reposer sa compréhension du vivant sur une ontologie qui dépasse la logique, les mathématiques peuvent, comme la philosophie aider à comprendre le vivant, en profondeur. Les mathématiques par leur objet (la «quantité des êtres matériels » ou «la mesure des choses», si l'on utilise un vocabulaire plus moderne) et leur méthode (abstraction) se séparent des sciences expérimentales. Mais elles n'en sont pas moins une vraie connaissance du réel et les êtres vivants font partie de leurs objets de connaissance.
Le courant signalé ci-dessus me semble particulièrement favorable à une harmonieuse collaboration entre mathématiques, sciences expérimentales et philosophie. René Thom, mathématicien de renom, a poussé très loin la recherche d'une ontologie nouvelle, à la fois mathématique et scientifique, qualifié de réalisme écologique. Le plus connu des développements de cette pensée est la théorie des catastrophes.
Si vous n'êtes pas mathématicien et vous souhaitez quelques éclaircissements sur cette théorie ou des exemples d'applications (modèles simples mais aussi un exemple d'utilisation pour l'analyse de données expérimentales sur les conditions de croissance de la levure Candida albicans (article en anglais)), visitez le site de Monsieur Lucien Dujardin (http://perso.wanadoo.fr/l.d.v.dujardin/ct/fr_index.html). Les modèles catastrophiques sont des modèles mathématiques qui rendent comptent de brusques variations de la valeur d'un paramètre à l'aide d'une description géométrique non plane (surfaces plissées...) des ensembles de valeurs des différents paramètres d'un système. Cette théorie à été utilisée dans le deuxième exemple proposé ci-dessous.

Je vous propose en effet 2 exemples qui peuvent vous faire comprendre les enjeux de ces avancées:
1 - les membranes biologiques peuvent être décrites par un modèle géométrique peu connu, très efficace; ce premier exemple est du à Y. Bouligand, darwinien convaincu.
2 - les mesures réalisées sur la face interne du crâne humain à différents chez l'adulte et lors du développement embryonnaire mettent en évidence une dynamique propre de l'homme (contraction crânio-faciale et le basculement de la partie postérieure du crâne) dont des traces peuvent être retrouvées sur les os de base des crânes d'hominidés fossiles, ce qui conduit l'auteur à proposer une nouvelle dynamique de l'hominisation. Ce deuxième modèle est du à A. Dambricourt, non darwinienne.

Remarque:
L'ensemble des travaux de Rosine Chandebois sur l'embryologie peuvent s'insérer aussi dans ce cadre, à mon avis. Je vous renvoie, en plus de ses ouvrages cités dans la bibliographie, à une longue page sur le développement à l'attention des collègues enseignant en classe de seconde, où j'ai essayé de présenter le développement animal en discutant les références habituelles accessibles aux enseignants.

1. Premier exemple: les membranes biologiques :

Ces données expérimentales conduisent à un modèle global : un modèle de membrane qui tienne compte de tous ces paramètres et qui repose sur la connaissance la plus détaillée de tous les composants de la membrane. Le modèle le plus répandu est le modèle de la membrane fluide que je ne redessine pas ici et qui est dans tous les ouvrages.

Il résulte, pour ce que j'en sais, de la composition de plusieurs modèles issus chacun d'une des techniques ... si l'on cherche à le formaliser mathématiquement, cela devient très vite impossible du fait du nombre de paramètres à prendre en compte

Il existe donc des modèles physiques simplifiés. La première chose que les physiciens font c'est de ne pas tenir compte des protéines : on modélise donc le comportement d'une ou de deux couches de molécules amphiphiles. Le modèle interne le plus courant essaye de prendre en compte les forces entre les molécules amphiphiles pour modéliser le comportement de cette membrane fluide. On en arrive très vite à des équations extrêmement complexes et très lourdes à manipuler.


Quelques modélisations de couches amphiphiles simples et moins simples....

Existe-t-il des modèles externes ? Oui, on vient de m'en présenter un et je pense qu'il y a là une nouveauté fondamentale : il a été élaboré par Yves BOULIGAND, Professeur à l'École Pratique des Hautes Études, et publié très récemment (Remarks on the geometry of micelles, bilayers and cell membranes, Y. BOULIGAND, 1999, Liquid Crystals, vol. 26, n°4, 501-515). La démarche de Y. Bouligand correspond tout à fait à celle du naturaliste qui ne peut pas matériellement aller rechercher les lois qui gouvernent tous les paramètres de son système et qui se contente d'une loi externe de comportement. Au lieu de chercher à modéliser le comportement des composants de la membrane, il modélise tout simplement la géométrie membranaire et le résultat est surprenant. La géométrie des membranes n'est pas habituellement modélisée en tant que telle, mais simplement décrite à l'aide de deux paramètres reliés aux deux surfaces de la membrane (face externe, face interne) qui correspondent à la vision que nous avons de la membrane comme une superposition de deux couches de molécules amphiphiles (les surfaces considérées étant les surfaces hydrophiles, tournées vers l'extérieur de la membrane). La modélisation d'Y. Bouligand, qui est basée sur la compréhension de la géométrie de la membrane et non sur un modèle préétabli à deux couches, le conduit à envisager tout simplement, non pas deux, mais trois couches : aux deux surfaces citées s'ajoute une surface qui correspond à la couche médiane hydrophobe. Le résultat est magnifique : je ne résiste pas à l'envie de vous recopier quelques-uns des ses schémas qui montrent comment, avec une simple surface supplémentaire on peut décrire une immense variété de formes que l'on retrouve dans le vivant.


Quelques exemples de micelles (monocouches) et de systèmes bicouches d'agrégats amphiphiles.
(d'après Remarks on the geometry of micelles, bilayers and cell membranes, Y. BOULIGAND, 1999, Liquid Crystals, vol. 26, n°4, 501-515, fig.5)


Une "microzoologie" des formes observées et supposées de micelles "membranaires"
(d'après Remarks on the geometry of micelles, bilayers and cell membranes, Y. BOULIGAND, 1999, Liquid Crystals, vol. 26, n°4, 501-515, fig.7)
1 - avec un paramètre pour définir la forme : sphérique (b), cylindrique (section circulaire : c-d) ou plane (e)
2- deux paramètres sont nécessaires pour définir les formes : ellipsoïde de révolution (f, g), cylindre aplati (section elliptique : h), jonction triple (de deux cylindres avec une dépression centrale, i), jonction quadruple (deux cylindres accolés latéralement : forme tétraédrique, j), jonction sextuple (de trois cylindres s'interpénétrant : forme octaédrique : k), selle (l), chapeau (m), jonction triple de trois feuillets (n)
3 - trois paramètres sont nécessaires pour décrire les formes suivantes : double massue (o), ellipsoïde biconcave (discocyte comme une hématie par exemple, p), ruban avec côtés cylindriques (q), stomatocyte (r)
4 - quatre paramètres et plus sont utilisés pour les formes s à z, on notera la ressemblance par exemple des formes (y) avec le reticulum et (z) avec la structure d'une éponge...

Il ne faut pas oublier me direz-vous que l'on est toujours dans un modèle, certes, mais ô combien plus simple que les modèles habituels.

Dans cet exemple on a une démonstration de la complémentarité des deux types d'approche : le modèle interne étant parfois privilégié car il donne une fausse confiance, on croît être plus près de la réalité parce que l'on est plus près de la matière (j'entends par là, plus près des composants non sécables (a-tomes) de la matière). N'y aurait-il pas là encore une illusion matérialiste ? En tout cas le modèle externe permet de prévoir de façon extrêmement simple le comportement d'innombrables membranes biologiques. Il est donc efficace car, prévoir, n'est-ce pas là un but pour tout modèle ?

 

2 - De la dynamique crânio-faciale humaine à une théorie de l'hominisation

Il est difficile de bien cerner l'enjeu que représente l'impact de la théorie de Mme Dambricourt. D'autant plus difficile que sa présentation n'est pas si simple. Les lignes qui suivent sont un effort de compréhension et de vulgarisation des idées de Mme Dambricourt, mais qui peuvent comporter des erreurs.

Résumé

La position du trou occipital (foramen magnum) est un des éléments majeurs que l'on associe à la station verticale et donc à la bipèdie des hominidés (qui s'accompagne de nombreux autres caractères: voir cours de terminale, paragraphe b.2.3). Cette position est souvent associée avec un basculement général de l'encéphale vers l'avant.
Habituellement la "tendance à la bipédie" est considérée comme un trait anatomique qui résulte de la sommation d'une série non orientée de mutations, sélectionnées par le milieu (théorie néodarwinienne). Pour un néodarwinien les caractères de chaque individu sont issus d'un plan mémorisé dans l'ADN. Ce plan peut être mémorisé de longue date (caractère hérité appelé primitif dans les phylogénies cladistes car partagé par des groupes frères), ou n'être apparut que récemment de façon stable dans l'ADN (caractère dérivé des phylogénies cladistes).
Ainsi la bipédie est un caractère dérivé propre des Homininés des cladistes (Classification phylogénétique du vivant, G. Lecointre et H. Le Guyader, Belin, 2001, p 492).
Mme Dambricourt propose d'associer la position du trou occipital, et la contraction des os la face qui lui est associée, à un mécanisme embryonnaire de rotation spirale que l'on retrouve chez tous les mammifères dont l'amplitude varie selon les groupes. D'autres mécanismes de croissance peuvent éventuellement masquer cette amplitude chez certaines espèces. Les caractéristiques de la face et la position du trou occipital chez l'homme résulterait ainsi d'une dynamique embryonnaire conservée au cours de l'évolution dans la classe des mammifères.
Un modèle mathématique de cette dynamique mémorisée est proposé par l'auteur: c'est un attracteur harmonique.
Les mesures réalisées sur des crânes et des mandibules actuels et fossiles permettent de proposer un nouveau regroupement des genres dans la lignée des hominidés.
Ainsi les caractères de la face peuvent être associés non à une "tendance à la bipédie" mais à une amplitude plus ou moins grande d'un déterminisme embryonnaire conservé lors de l'évolution. Cette théorie s'oppose par son caractère globalisant au paradigme néodarwinien de sommation d'événements non orientés. La position du trou occipital ne serait pas un caractère indépendant des autres caractères mais est le résultat d'une dynamique identique, chez tous les Mammifères. Identique dans son origine mais pas dans son intensité. Ce lien profond entre plusieurs caractères chez l'adulte peut aussi s'expliquer par des macroévolutions, dont les causes seraient à rechercher dans celle des gènes de régulation, pour celui qui tient absolument à rester dans le cadre d'un déterminisme génétique. Mais cela fait beaucoup d'hypothèses. C'est probablement pourquoi la thèse de Mme Dambricourt (ou plutôt sa personne, car la thèse était solide scientifiquement) a été tant attaquée par certains matérialistes qui se réclament du néodarwinisme.

Le changement de position du trou occipital que l'on montre à nos élèves de façon évidente en comparant les vues inférieures d'un crâne d'homme actuel et d'un chimpanzé est présenté comme associé à la bipédie. On a même parfois des raisonnements simplistes d'une coloration lamarckienne (ce qualificatif est en fait erroné, voir correction des encadrés de l'ancien cours de TS : "l'hérédité des caractères acquis" est une appellation et une théorie de Darwin pour une idée alors quasi universellement admise) lorsque les élèves nous affirment (reprenant ainsi des formulations maladroites de manuels) que "la station bipède, nécessaire en milieu ouvert de savanes (des australopithèques) par opposition au milieu forestier fermé (des grands singes fossiles, quadrupèdes), s'accompagne d'un basculement du trou occipital vers l'avant". Son déterminisme est balayé ensuite d'une phrase du style "ce basculement résulte d'une(?) mutation (?) sélectionnée par le milieu !!!". Essayons de reposer correctement le problème.
Point de départ: la position antérieure du trou occipital est un trait caractéristique des hominidés. Il résulte de processus lors de l'embryogenèse que l'on peut suivre chez l'homme et le comparer aux processus embryonnaires des grands singes. On peut ensuite s'efforcer de retrouver sa trace dans des embryons fossiles, si l'on en dispose. Ce qui est le cas, en un très petit nombre d'exemplaires cependant.

1ère étape: l'enroulement du tube neural présente des caractères propres aux Primates et à l'homme par rapport aux autres Mammifères: la rotation spirale est maximale chez l'homme

La nidation de l'embryon humain se déroule en même temps que la gastrulation qui voit la fin de la formation de l'amnios et du chorion, annexes embryonnaires dont la précocité de mise en place lors du développement est en relation avec la particularité des échanges materno-fœtaux par le placenta (voir par exemple cours pour les PE et notamment la figure présentant quelques étapes de la fécondation à la nidation). Au début de la gastrulation, l'embryon est réduit à un disque diblastique résultant de l'affrontement des enveloppes de deux cavités: l'amnios et le lécithocœle. Vers le 16ème jour de développement embryonnaire on voit apparaître la ligne primitive qui est d'abord une ligne virtuelle entre deux zones d'épaississement: les nœuds postérieur et antérieur (nœud de Hensen). La ligne primitive se creuse en gouttière et devient l'équivalent du blastopore. C'est par le nœud de Hansen (équivalent de la lèvre blastoporale) que va s'invaginer le tissu qui donnera la chorde et par les bords latéraux parallèles de la ligne primitive déjà creusée en gouttière que s'invagine à son tour le matériel mésodermique. On observe au cours de la gastrulation un déplacement relatif du nœud de Hensen vers l'arrière.
La chorde de l'homme est d'abord, comme chez les autres Mammifères un tube creux (canal chordal) qui s'invagine à partir de l'ectoderme dorsal de l'embryon (vers le 17ème jour de développement embryonnaire). Ce tube s'ouvre et se soude provisoirement à l'entoblaste (vers le 19ème jour) pour former une plaque chordale puis s'isole en une chorde (cordon cellulaire plein). C'est la chorde qui semble être à l'origine à l'induction de l'ectoblaste sus-jacent en neuroblaste (plaque neurale) qui va s'invaginer.
La neurulation, processus essentiel de l'organogenèse des vertébrés, aboutit à un embryon doté d'un tube creux ectodermique (tube neural clos vers le 29ème jour de développement chez l'homme) appelé neurula. La fermeture de la gouttière neurale chez l'homme est initiée en plusieurs points et les anomalies de fermeture de cette gouttière sont assez fréquentes chez l'embryon (l'anencéphalie résulte d'une absence de fermeture antérieure et est létale; le spina bifida est une non fermeture plus ou moins étendue de la région postérieure dont la gravité dépend des son extension; l'anencéphalie représente près de 0,1% des grossesses....). la différenciation ou régionalisation du tube neural (un peu plus de 30 jours de développement embryonnaire chez l'homme) termine la neurulation. On passe progressivement d'un tube présentant à l'avant trois vésicules (pro-, més-, et rhombencéphale) à un tube à 5 vésicules (tél-, di-, més-, mét-, et myencéphale) auxquelles s'ajoutent de nombreuses dilatations. Le tube antérieur gonflé est prolongé par la moelle épinière qui s'allonge vers l'arrière. Chez l'embryon de poulet, le rôle de la pression exercée sur les vésicules en formation, par les tissus dorsaux qui entourent l'étranglement situé à la jonction encéphale-moelle épinière, a été mis en évidence expérimentalement: l'absence de pression provoquant une diminution du volume encéphalique et une moindre multiplication des cellules nerveuses (Biologie du développement, S. F. Gilbert, 1996, De Boeck Université, p 254 et fig. 7.10). Les cellules du tube neural évoluent en cellules nerveuses: neurones, cellules de la glie (névroglie) et de l'épendyme.
La partie de l'ectoderme située entre le tube neural et l'épiderme dorsal forme les crêtes neurales dont les cellules migrent et donnent naissance au système nerveux périphérique, aux mélanocytes, à la médullo-surrénale et à certaines parties cartilagineuses du squelette crânien dont nous reparlerons ci-dessous.
La chorde n'atteint pas l'extrémité antérieure de l'embryon car la multiplication du neuroblaste dans la partie céphalique antérieure détermine une courbure du tube neural que l'on observe chez tous les embryons de vertébrés au moins jusqu'à la fin de la neurulation (stade bourgeon caudal). Cette courbure n'est plus visible dans les stades ultérieurs chez les vertébrés dépourvus de cou.


Silhouettes d'embryons de vertébrés représentés à des stades embryonnaires voisins (mais pas synchrones bien sûr étant donné les hétérogénéités de vitesse de développement entre les groupes) sur une même ligne
(pn = poisson, se = salamandre, te = tortue, pt = poulet, cn = cochon, ve = vache, ln = lapin, he = homme),
au premier stade, la position de la chorde sur une coupe longitudinale de l'embryon humain a été surimposée en violet,
d'après Romanes 1901 in Biologie du développement, S.F. Gilbert, 1996, De Boeck Université)

C'est à ce moment là (milieu du deuxième mois de la vie embryonnaire humaine qui se termine conventionnellement à deux mois pour laisser place à un fœtus) que commence un mouvement propre aux primates: la rotation spirale vers l'arrière (rotation selon un axe horizontal perpendiculaire à l'axe antéro-postérieur et dorso-ventral de l'embryon) qui accompagne l'allongement et la fermeture du tube neural vers l'avant.


La rotation spirale de la partie antérieure du cerveau embryonnaire humain
(illustrations d'après l'article de La Recherche, assez modifiés);
le terme de rotation spirale fait référence à un basculement progressif de la partie antérieure du cerveau embryonnaire en rotation autour d'un axe passant par la base du télencéphale mais qui provoque un enroulement de l'embryon autour de cet axe. C'est, me semble-t-il, cet enroulement qui décrit le mieux un mouvement spiral.


La rotation spirale d'après les schémas (modifiés) de l'auteur (voir figure sur le site de l'uip: http://uip.edu/images/ADMFigA.gif)
(légendes: 1= stade 12, 3-5 mm, 26-30 jours; 2 = stade 13, 4-6 mm, 28-32 j; 3 = stade 14, 5-7 mm, 31-35 j; 4 = stade 16, 8-11 mm, 37-42 j - P= proencéphale, Ms = mésencéphale, Mt = métencéphale, My = myencéphale; 5 = stade 17, 11-14 mm, 42-44 j; 6 = stade 20, 18-22 mm, 51-53 j - T = télencéphale)

«Au-dessus de la chorde, une partie du cerveau embryonnaire reste plane. Autour de la chorde, du tissu cartilagineux va se former, c'est l'origine des os de la base du crâne qui bordent le trou occipital. La rotation spirale a une amplitude telle que cette partie du crâne bascule à son tour, entraînée par le mouvement général de rotation. Vers la huitième semaine, les tissus cartilagineux qui enchâssent la chorde se redressent et les capsules otiques, qui correspondent aux futures oreilles, basculent. La face inférieure contient un arc cartilagineux qui relie les deux capsules otiques, et qui donne la forme générale de la mandibule. Chez l'homme, à ce moment-là, la partie antérieure de cet arc, qui correspond au menton, se met à former un crochet, comme si elle se redressait, puis laisse apparaître, vu de face, un vide triangulaire. Après les huit premières semaines, la trajectoire se poursuit, tandis que les hémisphères cérébraux commencent à se développer, tout en suivant l'enroulement spiral (Nouveau regard sur l'origine de l'homme, Anne DAMBRICOURT-MALASSÉ, La Recherche, 286, avril 1996, p 49) .

Cet enroulement du tube neural de l'homme se répercute sur les relations spatiales entre la face et la base du crâne. Mme Dambricourt pense ainsi que c'est lui qui détermine le mouvement de bascule du cou des hominidés ainsi que le retrait du prognathisme (la contraction qui fait que nous sommes les seuls primates à avoir les dents sous le front) et fait apparaître le petit vide symphysaire que nous avons tous au milieu du menton et qui n'existe chez aucun singe actuel ou passé.
C'est donc un déterminisme embryonnaire qui est à l'origine de la bascule du cou, ce qui n'est pas du tout impossible à expliquer dans une théorie darwinienne mais est bien une donnée embryonnaire (nouvelle).

2ème étape: la signature du déterminisme embryonnaire, et donc l'amplitude de la rotation spirale, se retrouve dans les relations topologiques entre les os du crâne de l'adulte et de l'enfant: un repère octaédrique (nommé pantographe par Mme Dambricourt) permet d'en suivre les variations au niveau du crâne et de la mandibule.

Le passage de l'enroulement du tube neural à la topologie des différents composants du crâne et de la mandibule est évidemment complexe. D'autant plus que l'ossification crânienne est mixte (à la fois dermique et enchondrale, voir plus loin pour une définition de ces mots). Pour expliciter cette relation voir l'annexe en bas de page (in E. U. et "Biologie animale, les Cordés, anatomie comparée des Vertébrés", Beaumont et Cassier, Dunod Université, 1987)

On en arrive maintenant aux relations topologiques entre les différents os du crâne et de la mandibule.

Un pantographe est un petit appareil composé de tiges rigides dont l'assemblage ingénieux (les tiges sont assemblées au moyen d'axes verticaux permettant une rotation de celles-ci dans un plan unique) permet de reproduire fidèlement une figure en agrandissant ou en réduisant son échelle. L'utilisation de ce terme est probablement voulu par l'auteur pour mettre l'accent sur les relations plus ou moins fixes qui existent entre les différents points ayant servi à définir les pôles de la figure qui est une superposition de triangles. La figure la plus stable dessine un octaèdre qui est qualifié de pantographe.


Figure présentant les repères de construction de l'octaèdre utilisé par Me Dambricourt et nommé par elle pantographe. Il y a deux pantographes perpendiculaires. Une description précise des points de construction n'est pas disponible à partir des sources que j'ai utilisé. Pour des sources complètes, voir le bibliographie.

«On retrouve la trajectoire [de l'enroulement spiral] au niveau de la mâchoire inférieure osseuse, dans les trois plans de l'espace. On peut alors modéliser le développement de la base du crâne, selon deux plans. Au pantographe tracé de profil, on ajoute un pantographe transversal qui tient compte de la future arcade dentaire, et de l'orientation de la base du crâne cérébral quand on regarde par en dessous. A la naissance du bébé humain ce double pantographe est très fermé dans le plan vertical et très ouvert dans le plan transversal. Il montre comment les os viennent se positionner plus ou moins sous le cerveau » (Nouveau regard sur l'origine de l'homme, Anne DAMBRICOURT-MALASSÉ, La Recherche, 286, avril 1996, p 49).

L'idée de Mme Dambricourt est donc ici d'utiliser le double pantographe pour suivre les caractéristiques des processus de croissance à l'œuvre chez le fœtus puis chez l'enfant. La découverte consistant dans l'idée qu'un même processus est à l'œuvre chez tous les mammifères et à fortiori chez les humains. L'outil mathématique proposé pour décrire ce processus est un attracteur harmonique. Cet outil est peu connu des non spécialistes et je renvoie à la bibliographie spécialisée pour plus de détails. Dans le vocabulaire courant le terme d'attracteur renvoie bien à une structure stable structurante. Le terme harmonique s'oppose à chaotique étant donné sa transmission héréditaire stable.(voir page sur les modèles de René Thom)

«Tout au long de cette ontogenèse, c'est le même attracteur que l'on voit à l'œuvre. Il procède par contractions successives. J'ai nommé cette trajectoire contraction crânio-faciale. Mémoire ontogénique qui répète inlassablement depuis des milliers d'années, réitérée chez chacun d'entre nous, chez les six milliards d'hommes actuels, dont elle transcende la singularité individuelle, c'est l'attracteur fondamental Sapiens. Attracteur harmonique, il ne perd pas la mémoire de sa propre identité, malgré les milliards de bifurcations qui suivent la fécondation. Les déséquilibres infantiles qui surviennent actuellement montrent qu'il est présent en oscillation au point de rompre des corrélations fonctionnelles. On ne constate pas de tels désordres dans les cimetières des époques historiques» (Nouveau regard sur l'origine de l'homme, Anne DAMBRICOURT-MALASSÉ, La Recherche, 286, avril 1996, p 49).


Exemples de déséquilibres de croissance chez l'enfant et repères morphologiques (approximativement présentés d'après l'article de La Recherche; des points et plans fixes hypothétiques ont été ajoutés afin d'expliciter le type de construction, sans chercher à en comprendre le détail). La description des déséquilibres ne sont pas évidentes pour un non spécialiste et j'espère ne pas avoir fait d'inversion.

En orthodontie, où plutôt en orthopédie dento-maxillo-faciale, il a été découvert une fenêtre dynamique, c'est-à-dire une période pendant laquelle une trajectoire de contraction en déséquilibre est réorientable. Cette fenêtre permet donc d'intervenir en orthopédie dès l'apparition du déséquilibre.

 


Quelques repères des mesures nécessaires à la construction du double pantographe sur un crâne humain
(La légende maudite du XXème siècle, l'erreur darwinienne, A. Dambricourt, La Nuée Bleue/DNA, Strasbourg, 2000, fig. 1, 20)
Aucune légende n'est fournie pour leur construction ni pour la numérotation présentée...

Je suis bien conscient qu'il manque plus que des détails sur la construction de ce double pantographe.
L'ultime étape de la démonstration de Mme Dambricourt consiste, à partir de l'observation des proportions des éléments du double pantographe chez le fœtus, l'enfant et l'adulte, à énoncer une loi:

Plus les os de la face et les deux mâchoires sont glissés sous le front et élargis, plus les tissus osseux situés en avant du trou occipital sont redressés.
Cette loi traduisant une dynamique embryonnaire de contraction crânio-faciale pouvant être modélisée à l'aide d'un attracteur harmonique.

Je ne peux dire que peu de choses sur cet attracteur harmonique, n'étant pas compétent dans ce domaine et n'ayant pas accès aux publications spécialisées auxquelles l'auteur renvoie (L'hominisation et la théorie des systèmes dynamiques non linéaires (Chaos), 1992, in Revue de biologie mathématique, 117-119; Dambricourt-Malassé, A., Les attracteurs inédits de l'hominisation. Ontogenèse fondamentale, attracteurs chaotiques et attracteurs harmoniques, 1993, Acta Biotheorica, 43; ). L'auteur précise que cette formalisation de sa théorie est en cours mais qu'elle est loin d'avoir trouvé une solution satisfaisante. Elle s'appuie sur certains résultats de René Thom tout en précisant que ses résultats ne sont pas intégrables à une théorie du chaos ou à la théorie des structures dissipatives de Prigogine.
« La contraction crânio-faciale est un constat angulaire. On peut écrire le comportement d'un angle y en vue transversale, fonction d'un autre angle x en vue de profil et calculer l'équation y=f(x). On peut le faire à chaque embranchement fossile qui correspond à une nouvelle équation. Formaliser l'évolution crânio-faciale sur soixante millions d'années, c'est tout simplement écrire l'équation de l'évolution des équations qui dérivent l'une de l'autre. C'est une analyse qui consiste à regarder l'évolution de la pente des équations, on écrit f(x) ou quelque chose comme y=ax+b (très simplifié). La pente c'est la valeur a. La représentation devient abstraite, ce ne sont pas des droites, mais des figures que l'on appelle attracteurs ou espace des phases. Et l'équation finale permet de dégager une loi mathématique, sans nécessairement connaître la réalité physique qui lui correspond » (La légende maudite du XXème siècle, l'erreur darwinienne, A. Dambricourt, La Nuée Bleue/DNA, Strasbourg, 2000, fig. 1, 39) .

Remarque:
pour des lecteurs souhaitant avoir une idée de la théorie des catastrophes dont René Thom a été le précurseur et au sein de laquelle ont été développées les notions d'attracteurs, je renvoie au site de Monsieur Lucien Dujardin (http://perso.wanadoo.fr/l.d.v.dujardin/ct/fr_index.html); voir aussi sur ce site une page sur les modèles de René Thom avec la définition d'un attracteur et une page sur les modèles continus présentant l'intérêt du travail dans l'espace des phases.

Pour ce qui est de la validité de la loi pour les autres groupes; la rotation spirale du tube neural existant chez tous les Mammifères, elle est bien évidemment présente chez tous les Primates. Seule l'amplitude de flexion-contraction est variable selon les espèces. Elle reste toujours inférieure à celle de l'homme.
La position du trou occipital, directement lié à l'amplitude de cette rotation spirale, est habituellement d'autant plus en avant que la contraction est forte (minimale chez les nouveau-nés de lémuriens, intermédiaire chez les petits singes, plus importante chez les grands singes, maximale chez l'homme). Cependant la contraction crânio-faciale peut, par exemple dans le cas du Tarsier, être légère, malgré une flexion importante du tube, ce qui donne une position antérieure du trou occipital malgré une face peut contractée (mandibule en V très pointu par exemple). Dans cet exemple la cause en est au développement très exceptionnel des capsules optiques.
La loi semble donc, être valable pour les Primates, sauf exception: l'amplitude de la rotation spirale du tube neural détermine la flexion et donc la position du trou occipital et la contraction-cranio-faciale des lémuriens à l'homme en passant par les petits puis les grands singes.

3ème étape: application de la loi à l'analyse des fossiles crâniens et mandibulaires dans la lignée des hominidés.

L'hypothèse est que cette loi «perdure et se réitère depuis l'apparition des primates, il y a 60 millions d'années », on peut alors « situer les déséquilibres faciaux des enfants actuels dans une perspective évolutive à grande échelle ».

L'examen de la base des crânes et des mandibules fossiles dans la lignée humaine a conduit l'auteur à présenter ses résultats sous la forme d'un figure majeure (La Recherche, 286, p 46-47, figure sur le site de l'uip: http://uip.edu/images/ADM fig B copier.gif ou dans La légende maudite du XXème siècle, l'erreur darwinienne, A. Dambricourt, La Nuée Bleue/DNA, Strasbourg, 2000, fig. 2, 22 qui est reprise, légèrement modifiée ci-dessous) où apparaissent des paliers de contraction (qui correspondent à des regroupement d'espèces paléontologiques présentant les mêmes types de flexion-contraction crânio-faciale). On notera que l'homme actuel forme ainsi un genre à part, nommé Sapiens par l'auteur.

 
Évolution de la contraction crânio-faciale dans la lignée des hominidés. Six grandes étapes macroévolutives ont été dégagées et correspondent à 6 attracteurs harmoniques: Prosimiens, Simiens, Grands singes, Austrolopithecus, Homo et Sapiens.
Malgré mes efforts je n'ai pas réussi à comprendre la signification de la surface orangée.

Exemple des australopithèques robustes (Paranthropes)
« La quête de l'ancêtre commun n'a plus la même signification. Les ancêtres sont connus. L'ancêtre des Australopithèques c'est le fond embryonnaire grand singe que l'on voit depuis 20 millions d'années. L'ancêtre des hommes archaïques c'est le fonds embryonnaire commun à toutes les espèces d'Australopithèques. Ce que nous ignorons en revanche, c'est comment l'attracteur reste stable, comment l'embryon se réorganise, et comment la dynamique se complexifie. (...) Avec ou sans effondrement de la Rift Valley et la disparition de la forêt, l'Australopithèque est possible parce qu'il existe un processus qui permet d'une manière ou d'une autre de complexifier l'organisation d'un ontogenèse. Ce qui est en cause, c'est la conservation de ce processus, autrement dit sa transmission. A partir d'un certain moment, le psychisme devient sans doute lui-même un paramètre. Lui aussi en rapide évolution, il peut influencer l'aire de répartition de la nouvelle ontogenèse fondamentale. La population en vient à sélectionner son milieu par des actes déjà volontaires. Plusieurs fossiles observés entre les Australopithèques et les premiers hommes modernes suggèrent des évolutions ontogéniques chaotiques, qui ne conservent pas la mémoire de cette dynamique évolutive : ces fossiles émergent de logiques inattendues.
On le voit avec les paranthropes, vers 2,4 millions d'années. Ils ont un trou occipital placé plus près de la face, mais celle-ci n'est pas sous le front. On ne constate pas de régression du système masticateur, comme chez les Homo. Pour Gilles Berillon, il n'est pas impossible que l'on soit là en présence de deux macroévolutions. On peut tenter une interprétation. Il faut se représenter une vaste populations d'embryons d'Australopithèques, oscillant soudainement autour de l'équilibre crânio-facial et céphalo-caudal. Différents points de bifurcation ont donné les embryons qui deviendront des paranthropes d'un côté, des hommes de l'autre. Sans doute très légèrement différentes dans leurs trajectoires embryonnaires crânio-faciales, ces deux amplifications donnent deux évolutions ontogéniques qui divergent totalement. l'une retrouve la logique évolutive à l'origine des Australopithèques, l'autre innove de façon imprévisible, mais va s'éteindre. Celle en laquelle on reconnaît le processus, est aussi celle qui donnera Homo sapiens.
Il faut raisonner en termes de systèmes dynamiques éloignés de l'équilibre. On admet une populations d'embryogenèses qui oscillent: quelques solutions sont viables, la sélection agit tôt sur les évolutions embryonnaires trop chaotiques, puis les paranthropes disparaissent. On remarque alors que les ontogenèses sélectionnées sont celles qui ont le potentiel évolutif de l'hominisation. Chez le paranthrope, la base du crâne est contractée, mais selon des réajustements différents des hommes, l'ontogenèse retombe dans un ancien attracteur qui devient dominant, avec le fort développement de l'appareil masticateur. La face supérieure est presque désolidarisée du cerveau, un petit goulot osseux les rattache. Les hommes ont gardé au contraire l'attracteur neural beaucoup plus longtemps, indiquant une cérébralisation fœtale plus importante, tandis que l'attracteur facial masticateur est retardé.
» (Nouveau regard sur l'origine de l'homme, Anne DAMBRICOURT-MALASSÉ, La Recherche, 286, avril 1996, 53)
Dans ces lignes Anne Dambricourt cherche à expliquer les mécanismes mêmes de l'évolution, en se référant aux hypothèses de Gilles Berillon; c'est une partie moins convaincante car elle pose plus de questions qu'elle n'apporte de réponses. On est encore loin d'un modèle global des mécanismes évolutifs non darwiniens. Quelle sont les causes de la variabilité des embryogénèses qualifiée d'oscillatoire ? Des erreurs de développement, des hétérochronies accidentelles ? (ce que peut nous faire penser l'usage du terme "chaotique"). Pourquoi l'évolution mémoriserait-elle des trajectoires nouvelles ? Parce que toute trajectoire d'un individu est mémorisée pour ses propres descendants ? (et dans ce cas il n'y aurait pas de mémoire de l'espèce mais une seule mémoire individuelle, ou au moins une mémoire de l'espèce individualisée).

Perspectives
Comme souvent c'est à sa fécondité que l'on pourra juger de l'importance de cette théorie. De jeunes chercheurs du Muséum de Paris se sont déjà attelés à la tâche de rechercher d'autres signes d'une dynamique embryonnaire étendue à tout l'axe crânio-caudal et conservée au cours de l'évolution.
Madame Dambricourt poursuit sa réflexion paléontologique:
« Il est manifeste que nous sommes là en présence de déterminismes internes ontogéniques très puissants, indépendants du milieu.(...) Qu'est-ce qui a évolué exactement ? On voit que de nombreuses espèces actuelles ont la même racine embryonnaire que les espèces fossiles. Il existe donc des fonds embryonnaires communs qui traversent les espèces et les époques. Cela m'a conduite à définir une unité biologique, que j'appelle ontogenèse fondamentale. C'est la trajectoire embryonnaire commune que partagent certaines espèces actuelles et fossiles. Voilà l'unité qui aurait évolué des premiers Primates aux Australopithèques, puis aux hommes modernes. Nous sommes loin des conceptions actuelles qui font de l'Australopithèque, ou de l'homme, des espèces de grands singes bipèdes, autrement dit des espèces de la mémoire embryonnaire grand singe.(...) Nous ne sommes plus en présence d'une évolution adaptative. C'est l'ontogenèse fondamentale d'un grand nombre d'espèces qui élève son niveau d'organisation. (...) La sélection naturelle conserve cette dynamique, elle n'est pas la dynamique elle-même.(...) Ainsi conçue l'hominisation ne se fait pas graduellement par petites retouches d'un unique plan embryonnaire initial comme dans le schéma traditionnel. C'est bien de macroévolution qu'il s'agit, d'évolutions discontinues de plans d'organisation ». (Nouveau regard sur l'origine de l'homme, Anne DAMBRICOURT-MALASSÉ, La Recherche, 286, avril 1996, 52-54)


Annexe: repères d'anatomie comparée pour le crâne et la mandibule de l'homme

Le crâne de l'homme résulte principalement du développement d'os dermiques qui se construisent sans passer par la formation d'un crâne embryonnaire cartilagineux, processus dit enchondral. A sa base et sur ses côtés, cependant, les os enchondraux dominent. Dans la série des vertébrés on observe une nette tendance à la réduction de l'endocrâne et à la fusion des os qui le composent, ce qui rend parfois difficile les homologies, qui restent donc parfois à l'état d'hypothèses. On se base pourtant sur ces homologies pour affirmer que des processus embryonnaires donnant des os homologues (même origine embryonnaire, même position anatomique et même fonction, voir discussion) indiquent une filiation évolutive forte. Un caractère embryonnaire mis ainsi en évidence a une importance majeur dans une phylogenèse, qui dépasse de loin des ressemblances moléculaires (voir cours de terminale). Dans le cas d'os enchondraux la filiation est plus simple à mettre en évidence que dans le cas d'os dermiques, du fait de la présence d'un modèle cartilagineux avant ossification, ce qui nous facilite la représentation d'une forme par l'imagination. Mais cette distinction n'est probablement qu'un leurre. En effet, les deux processus embryonnaires résultent de mécanismes histologiques semblables: la genèse de la forme y prend place de la même façon par les interactions entre populations (voir par exemple la théorie de Rosine Chandebois, paragraphe 2.3.2).

Le crâne des Vertébrés se compose de 2 parties: le neurocrâne , qui protège et soutient l'encéphale et les organes sensoriels céphaliques (olfactifs, visuels et stato-accoustiques), et le splanchnocrâne , qui entoure la cavité buccale et pharyngienne. Le tissu lâche (mésenchyme) qui fournit les tissus cartilagineux et osseux des vertébrés est soit d'origine intermédiaire (mésoderme) soit d'origine externe (ectoderme), soit d'origine mixte. Lors du développement embryonnaire, le crâne se construit d'abord par la formation d'un chondrocrâne, cartilagineux, qui est le crâne définitif et unique des Cyclostomes (comme la lamproie) et des Chondrychtiens (comme les raies ou les requins).


Mise en place des massifs cartilagineux allant former le neurocrâne chez un Chondrychtien (requin aiguillat); on notera que les massifs ont une disposition paire de part et d'autre de la chorde. Chez l'adulte les cartilages issus du mésenchyme formant le chondrocrâne (crâne cartilagineux) qui regroupe le neurocrâne (qui protège et soutient l'encéphale) et le splanchnocrâne (qui entoure la bouche et le pharynx). La disposition métamérique (par segments) du splanchnocrâne est rappelée par la dénomination des arcs viscéraux, primitivement au nombre de 7 paires: mandibulaire (Md), hyoïde (H), 5 arcs branchiaux (Br1 à Br5). Seuls les 2 premiers arcs sont articulés sur le neurocrâne.

Chez les autres Vertébrés un crâne osseux (ostéocrâne) apparaît soit aux dépens du chondrocrâne primitif, qui est partiellement au moins remplacé par un ostéocrâne enchondral , soit est ajouté par ossification dite dermique (ostéocrâne dermique).
L'ostéocrâne est d'une façon générale décomposé en 4 parties: le neurocrâne enchondral (endocrâne), le toit dermique, le complexe palatin et la mâchoire inférieure ou mandibule.
L'endocrâne, résulte de l'ossification des parois latérales et ventrales du chondrocrâne embryonnaire est réduit chez les Mammifères: il ne forme plus que la base du neurocrâne avec comme os principaux : le sphénethmoïde, le basisphénoïde, les os otiques et les os occipitaux. Cette réduction est contrebalancée par le développement très important du neurocrâne dermique (toit dermique) qui comprend les os suivants: prémaxillaire, nasal, maxillaire, lacrymal, frontal, jugal, pariétal, quadrato-jugal, squamosal).


Coupe schématique d'un crâne de fœtus humain
(vers 12 semaines de vie embryonnaire ce qui correspond à un fœtus replié d'environ 80 mm de longueur)
montrant la réduction du neurocrâne enchondral (endocrâne); en bleu.

Le sphénoïde humain est considéré en anatomie comparée comme résultant de la fusion embryonnaire de 6 os (dont 4 par paires) :
- 2 os enchondraux du neurocrâne: le sphénethmoïde et le basisphénoïde (qui forment la selle turcique et les petites ailes du sphénoïde)
- avec une paire d'os enchondraux de la mâchoire supérieure primaire: les épiptérygoIdes (qui forment les grandes ailes du sphénoïde)
- ainsi que la paire d'os dermique du plafond buccal (palais): les ptérygoïdes (qui forment les apophyses ptérygoïdes du sphénoïde).


Sphénoïde humain (in Beaumont et Cassier)

La mandibule (mâchoire inférieure) des Mammifères diffère de celles des autres vertébrés à mâchoire (Gnathostomes) car elle est constituée par un seul os dermique (le dentaire) qui s'articule directement avec le squamosal du toit dermique: c'est l'articulation mammalienne qui s'oppose à l'articulation dite reptilienne (entre le carré, faisant partie de l'ostéocrâne enchondral du complexe palatin ; et l'articulaire, os enchondral de la mandibule).
L'occipital des Primates (comme celui d'autres Mammifères comme les Carnivores) résulte aussi de la fusion autour du foramen magnum (point d'articulation de la colonne vertébrale avec le crâne et passage de la moelle épinière dans le crâne où elle s'épaissit en bulbe rachidien) du basi-occipital, du supra-occipital et des 2 occipitaux latéraux, tous les 4 issus du neurocrâne enchondral.


Crâne humain adulte. Les deux schémas du haut (en couleurs) présentent le sphénoïde en place (d'après Beaumont et Cassier) .

 

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