L'alcaptonurie (AKU)
ou déficience de l'oxydase de l'acide homogentisique (homogentisate 1,2-dioxygénase ; HGO (HGD est le sigle officiel))
HOMOGENTISIC ACID OXIDASE DEFICIENCY

phénylcétonurie,
panorama

Plan


Sources:
Encyclopedia Universalis (EUversion 10); notamment l'article " "alcaptonurie" qui est la traduction de ce que l'on peut trouver sur internet dans des cours en anglais.
http://genetics.biology.yale.edu/MCDB120/LectureHandouts/Lectures2004/MCDB120Chp17MedicalGenetics.pdf - des diapositives d'un cours en anglais très illustré (attention fichier pdf de 1,2Mo)
Pour des données scientifiques
- en français:
http://www.orpha.net/consor/cgi-bin/OC_Exp.php?Lng=FR&Expert=56 (mise-à-jour 2007)
- en anglais (maladie = alkaptonuria ou AKU (HOMOGENTISIC ACID OXIDASE DEFICIENCY); site de l'OMIM (Online Mendelian Inheritance in Man, Johns Hopkins University)
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/entrez/dispomim.cgi?id=203500 - les données sur la maladie et les progrès de la recherche
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/entrez/dispomim.cgi?id=607474 - les données sur l'enzyme (HGO)
Mais les données de ces sites n'ont pas été mises-à-jour derpuis 2003 (en 12/2007)
voir plutôt :
http://www.genetests.org/query?dz=alkap


début du travail 10/2002 - mise-en-ligne 12/2007

1. L'alcaptonurie est une maladie TRÈS rare



L'urine des malades atteints d'alcaptonurie noircit à l'air...

L'alcaptonurie est une maladie ancienne (on rapporte à cette maladie des symptômes trouvés sur une momie égyptienne de Harwa datée de 1500 ans avant JC) et surtout très rare (90 cas aux USA, 108 cas en Allemagne, 126 en Tchékoslovaquie, ce qui en fait le pays où l'on a rapporté plus de cas que partout ailleurs). Environ 600 cas dans le monde ont été recensés entre 1956 et 2002.

Elle est caractérisée par une urine qui noircit à l'air, une pigmentation brun foncé-noire du cartilage et des tissus conjonctifs (ochronosis en anglais - non traduit) et de l'arthrite (inflammation des cartilages articulaires), spécialement au niveau de la colonne vertébrale. Des symptômes secondaires peuvent être associés comme la calcification de valvules aortiques chez les malades ayant dépassé la cinquantaine ou la formations de calculs rénaux ou prostatiques tardifs eux-aussi. Elle est plus fréquente chez les hommes que chez les femmes (environ 75% contre 25% des cas, Garrod 1902).

2 L'histoire d'une idée à abandonner: l'alcaptonurie est une maladie métabolique héréditaire monogénétique au sens de Mendel



Sir Archibald Garrod

Un aperçu historique sur le concept "un gène-une enzyme", nettement postérieur et qui ne procède pas du même artifice, est traité sur une page dédiée à Beadle et Tatum

Les historiens des sciences se sont depuis quelques années attachés à montrer combien les publications d'Archibald Garrod (1857-1936) ont été reprises et diffusées pour en faire des observations fondatrices de l'hérédité mendélienne (voir Gérard Nissim Amzallag, La raison malmenée, 2002, CNRS éditions, p 34s qui cite notamment les travaux de Jan Sapp).

En affirmant que Garrod exprime, pour la première fois, en 1902, la possible relation entre un gène héréditaire et une enzyme (et donc ce qu'on appellerait maintenant un gène au sens de la biologie moléculaire c'est à dire un gène moléculaire) on le pose en précurseur génial méconnu. Les historiens des sciences parlent du mythe du "père fondateur". En tout cas il est clair que cette date de 1902 est erronée.


Revenons donc aux articles originaux et efforçons nous de porter un regard parfois différent de celui que nos maîtres nous ont amené à porter.

 

 

 


ce sigle indique les passages où sont soulignés quelques aspects théoriques


2.1 A. Garrod propose en 1902 une transmission héréditaire mendélienne: un gène autosomal dont la forme récessive correspondrait à l'alcaptonurie, forme métabolique alternative

Archibald Garrod a tout d'abord extrait l'homogentisate de l'urine par une méthode plus rapide que ses prédécesseurs (Garrod, 1899, Journal of Physiology, xxiii, 512). Mais il n'a ni découvert cette substance ni proposé en premier de l'associer avec l'alcaptonurie, voir sa revue de la question dans son article de 1902 par exemple (découverte en 1858 puis analysée et extraite en1891).


Un mode de transmission autosomal récessif... l'allèle morbide, caché chez les parents (et donc récessif) réapparaît chez les deux enfants malades qui sont alors homozygotes pour cet allèle. Les parents sont forcément hétérozygotes et les enfants sains peuvent être homozygotes sains ou hétérozygotes.

Garrod était "Physician" (médecin) à l'hôpital des enfants malades de Great Ormondstreet et "Demonstrator of Chemical Pathology" à l'hôpital de St. Bartholomé, lorsqu'il publia en 1902 un article (Garrod AE: The incidence of alkaptonuria: a study in chemical individuality. Lancet II 1902; 1616-20, disponible sur internet en pdf sur le site de l'ESP: http://www.esp.org/ foundations/genetics/ classical/ag-02.pdf ) où il reprend l'interprétation mendélienne de la maladie à partir des propositions de Bateson (W. Bateson. 1902. Mendel's Principles of Heredity, Cambridge). Il se contente de faire une revue des cas connus d'alcaptonurie et d'y ajouter une interprétation autour des liens de consanguinité, notamment des mariages entre cousins germains qui favorisent l'apparition des homozygotes double-récessifs. Étant donné la rareté de la maladie - et donc le non-sens d'une analyse statistique et la difficulté de généraliser les hypothèses - et les informations plus que parcellaires, l'argumentation est plus une voie ouverte qu'une démonstration convaincante.

Garrod A.E.: The incidence of alkaptonuria: a study in chemical individuality. Lancet II 1902; 1616-20; réedition sur le site de l'ESP, p 11 et 18 du fichier pdf

«Whether the Mendelian explanation be the true one or not, there seems to be little room for doubt that the peculiarities of the incidence of alkaptonuria and of conditions which appear in a similar way are best explained by supposing that, leaving aside exceptional cases in which the character, usually recessive, assumes dominance, a peculiarity of the gametes of both parents is necessary for its production. »

« If it be a correct inference from the available facts that the individuals of a species do not conform to an absolutely rigid standard of metabolism, but differ slightly in their chemistry as they do in their structure, it is no more surprising that they should occasionally exhibit conspicuous deviations from the specific type of metabolism than that we should meet with such wide departures from the structural uniformity of the species as the presence of supernumerary digits or transposition of the viscera.»

« Que l'explication mendélienne soit vraie ou non il semble probable que les particularités de l'alcaptonurie ,et les conditions similaires dans lesquelles elle apparaît, sont expliquées ,de la meilleure manière possible, en supposant qu'une particularité des gamètes des deux parents est nécessaire pour qu'elle se produise, à part des cas exceptionnels pour les lesquels le caractère, habituellement récessif, apparaît dominant.» ...

« Si l'on peut déduire, avec justesse, des faits connus, que les individus d'une espèce ne se conforment pas à une forme standard et rigide de métabolisme, il n'est guère surprenant que des individus puissent présenter des déviations visibles de leur métabolisme spécifique, tout comme l'on pourra trouver de grandes différences au sein de l'uniformité des espèces, comme la présence de doigts surnuméraires ou le déplacement de viscères».


L'interprétation héréditaire mendélienne est claire et annoncée comme une hypothèse que l'on s'efforce d'argumenter. Par ses disgressions osées -et notamment dans sa conclusion ci-dessus-, l'auteur révèle l'ambition d'une compréhension de la variation intraspécifique qui s'insère dans un courant évolutionniste.
On notera qu'il cite des cas où l'hypothèse de récessivité du caractère associé à l'alcaptonurie n'est pas probant et doit être remplacée par une dominance (on en reparlera).


2.2 A. Garrod propose entre 1908 et 1923* de relier le gène héréditaire associé à l'alcaptonurie (AKU) à la déficience d'une enzyme spéciale coupant le cycle aromatique de l'acide homogentisique (HGA)

Inborn errors of metabolism, A. Garrod, 1909, les 216 pages de l'édition de 1923 (Second Edition, London: Henry Frowde and Hodder & Stoughton), sont accessibles en fac-similé au format pdf sur le site de l'ESP: http://www.esp.org/books/
* Seule l'édition de 1923 est accessible sur internet; des modifications et mises-à-jour ont été ajoutées par Garrod dans cette édition (articles des années entre 1909 et 1923 cités), je ne peux donc savoir quelles étaient les hypothèses de 1909 et quelles sont celles qui ont été ajoutées...

Ce n'est que dans un ouvrage de 1908-1909, Inborn Errors of Metabolism, au chapitre VI puis V (The theory of alcaptonuria), qu'il propose le lien entre l'alcaptonurie (AKU) avec la déficience enzymatique de la dégradation du noyau aromatique de l'acide homogentisique (HGA) pour donner l'acide maléylacétoacétique.

L'ochronosis, marquée notamment par le noircissement des cartilages, a été rapportée à l'alcaptonurie depuis 1902 par Albrecht. Elle intervient le plus souvent dans la seconde moitié de la vie des malades.

Des expériences sur des malades....


Dans cet ouvrage il rapporte une expérience réalisée sur un garçon atteint d'alcaptonurie, et soumis à une jeûne peptidique, à qui il administre une petite quantité de tryptophane - ce qui ne provoque pas d'augmentation de l'HGA urinaire - puis de tyrosine, qui provoque une augmentation de l'HGA urinaire.
Il écarte l'hypothèse d'une réaction chimique bactérienne réalisée par la flore intestinale symbiotique, que l'on sait être capable de réaliser la dégradation de la tyrosine en HGA (les malades atteints d'alcaptonurie auraient donc une flore symbiotique très particulière qui produirait cet HGA à partir de la tyrosine dans l'intestin, l'HGA passant ensuite dans le sang avant de se retrouver dans les urines). Cette hypothèse est écartée notamment parce que le malade, même soumis à un jeûne protéique, continue d'excréter de l'HGA, ce qui fait penser que celui-ci provient des protides de l'organisme en renouvellement et non pas des ceux arrivant par voie intestinale seulement. Une expérience d'injection sanguine directe de la tyrosine (sous forme de glycil-1-tyrosine, réalisée par Abderhalden, Bloch et Rona en 1907) confirme la production d'HGA à partir de tyrosine sanguine.
Garrod présente plusieurs arguments en faveur d'un mode de dégradation des aa aromatiques, alternatif à celui fournissant l'HGA...
Pour s'affranchir des variations individuelles dues à des régimes protéiques différents Garrod propose d'utiliser préférentiellement le rapport "HGA/azote total" mesuré quotidiennement à partir de l'urine du patient. Ce rapport est très sensible aux types de protéines consommées, bien qu'il varie peu en fonction de la quantité de ces mêmes protéines.
Bien qu'il n'existe pas d'étude réalisée dans des conditions strictes de régime contrôlé avec un unique aliment comme source d'acide aminé aromatique, les résultats indiquent que la quantité d'HGA excrété est proportionnelle à la quantité d'acides aromatiques ingérés. Ce fait suggère donc bien que l'HGA provient de ces acides aromatiques non dégradés chez les alcaptonuriques.
Il rapporte des expériences de Katsch (1918) sur un enfant de 3ans1/2 soumis au jeûne pendant 3 jours. Le 3ème jour, l'HGA disparut complètement de l'urine et ne réapparut pas lors d'un régime uniquement composé de glucides
(carbohydrate) et de lipides. L'interprétation proposée par Katsch est que lors du jeûne les aa aromatiques sont directement dégradés en acétone (une augmentation de l'acétonémie est effectivement alors observée)...


Garrod apporte ensuite des arguments à l'idée selon laquelle l'HGO est un produit normal du métabolisme (comme l'ont suggéré dès 1892 Garnier et Voirin) qui n'est pas dégradé chez les alcaptonuriques.
Enfin, il propose plusieurs voies de dégradation de l'acide homogentisique. La plus probable selon lui étant la coupure du cycle benzénique. Il rapporte même une expérience d'ingestion chez un alcaptonurique mettant en évidence l'incapacité chez celui-ci, non seulement de dégrader l'acide homogentisique mais aussi tout autre cycle benzénique avec des groupes hydroxyl en position 2:5
(je n'ai pas vu développer récemment cette idée intéressante...).

Il propose donc l'hypothèse d'une enzyme spéciale, absente ou plus ou moins inactive chez les alcaptonuriques.

cliquez sur l'image pour l'agrandir

Quelques voies de synthèse CONNUES ACTUELLEMENT de la phénylalanine (et de la tyrosine) dans divers royaumes du vivant;
la phénylalanine est un aa indispensable chez les animaux
mais la tyrosine n'est pas considéré comme tel du fait de sa synthèse à partir de la phénylalanine
(Lehninger, p 704-707)


« Two explanations are possible of the fact that alcaptonurics excrete homogentisic acid whereas normal persons do not. Either the alcapton acid is a strictly abnormal product formed by a perverted metabolism of tyrosin and phenylalanin, or it is an intermediate product of normal metabolism which in alcaptonurics escapes further change».(Ch V p 9)
« Il existe deux explications au fait que les alcaptonuriques excrètent de l'acide homogentisique à l'inverse des personnes saines. Soit l'acide alcaptonique est un produit vraiment anormal produit par un métabolisme perturbé de la tyrosine et de la phénylalanine, soit c'est un produit intermédiaire du métabolisme normal qui est empêché d'être ensuite modifié chez les alcaptonuriques.»

 

Quelques idées nouvelles à partir du travail de N. Amzallag dans la page : De la mutation au problème de la variation.


Il est important de souligner que dans cette publication l'argumentation de Garrod, reposant sur l'interprétation d'expérimentations forcément très limitées - les sujets sont toujours peu nombreux, les conditions expérimentales jamais tout-à-fait satisfaisantes-, met toujours en avant le côté hypothétique de la théorie proposée. Les comptes-rendus d'expériences "médicales" citées renforcent cet aspect humain (on n'a pas soumis l'homme à une série d'expériences, en cherchant à contrôler tous les paramètres, même si on essaye d'interpréter les effets observés de prises alimentaires ou de jeûnes réalisés à des fins expérimentales) : le but clairement avoué est de comprendre l'origine d'une maladie - chez un malade - pour la soigner. L'aspect scientifique, forcément unificateur, est secondaire. Ainsi il est très souvent mis en avant que des variations individuelles restent possibles et même probables. Je pense que l'on peut dire que l'on voit, en ce début du XXème siècle , se développer l'idée d'une science rigoureuse et positive qui pourrait s'affranchir de ce qui ne deviendra plus qu'un facteur (alors que l'on est en droit de penser que l'individualité est au cœur de la physiologie). À la fin du XXème, une fois plongé dans le paradigme moléculaire il sera très difficile de revenir à une vision plus médicale et humaine du problème.


2.3 Il faut attendre les années 1950-1960 pour que l'enzyme inactive (HGO) soit identifiée chez un patient alcaptonurique

The nature of the defect in tyrosine metabolism in alcaptonuria, La Du BN, Zannoni VG, Laster L, Seegmiller JE.. J Biol Chem. 1958;230:251-260. http://www.jbc.org/cgi/reprint/230/1/251;

 

Dans les années 1952-53 des progrès sont fait dans la connaissance du catabolisme de la tyrosine chez les mammifères. Mais c'est en 1958 que LaDu et son équipe montrent que le foie d'un patient atteint d'alcaptonurie présente une inactivité totale de l'enzyme homogentisate 1,2-dioxygenase (homogentisate oxidase) ou HGO qui assure la coupure du cycle aromatique de l'acide homogentisique, alors que toutes les autres enzymes sont fonctionnelles, montrant ainsi la grande similitude des systèmes enzymatiques de dégradation de la tyrosine entre l'homme et les autres mammifères déjà connus.


Ces résultats - obtenus sur un seul patient - ne sont plus orientés vers la médecine; ils sont clairement le fruit d'une biochimie unifiée et publiés dans une revue adéquate. La variation individuelle (l'idée de métabolisme alternatifs chez l'homme) n'est même pas envisagée. Plus tard elle ne le sera que dans le cadre du paradigme genético-moléculaire.
Pour beaucoup, dès cette époque (et même depuis les derniers travaux de Garrod), le gène héréditaire (autosomal, récessif) associé à l'alcaptonurie (noté AKU), et ce, même s'il n'y a pas de preuve expérimentale, est associé à un gène moléculaire qui assurerait la synthèse de l'HGO, l'enzyme homogentisate 1,2-dioxygenase (homogentisate oxidase). C'est le concept
"un gène-une enzyme" attribué à Beadle et Tatum (voir page spéciale).
Pendant 50 ans on va s'efforcer de cloner le gène de l'HGO, pour le localiser et l'étudier, et de comparer sa séquence et sa traduction chez les patients atteints d'alcaptonurie.

Un article accessible (en anglais) qui montre les efforts de théorisation sans remettre en cause le modèle moléculaire :

Genetical theory and the "inborn errors of metabolism", H Harris, Br Med J. 1970 February 7; 1(5692): 321-27
(http://www. pubmedcentral. nih.gov/ articlerender.fcgi? tool= pubmed& pubmedid=4906700)

« But I would like to suggest that the genetic heterogeneity of the "inborn errors of metabolism" is likely to prove much more extensive than even these examples would imply.» ...
« Since Garrod's time many more "inborn errors" have been identified, and a great deal has been discovered about them. But in considering the position today it is perhaps important to emphasize how ignorant we still remain about many aspects of these disorders.»

Pour comparaison voici un article assez complet de 2002 (en anglais aussi mais abondamment illustré), publié lui aussi dans un journal de médecine, et qui, pour le moins qu'on puisse dire, fait allégeance au modèle moléculaire:

Natural history of alkaptonuria, Phornphutkul C, Introne WJ, Perry MB, Bernardini I, Murphey MD, Fitzpatrick DL, Anderson PD, Huizing M, Anikster Y, Gerber LH, Gahl WA (2002). N Engl J Med 347:2111-21
(http://content. nejm.org/cgi/ reprint/347/26/ 2111.pdf)

Des extraits seront repris plus bas.


2.4 Après un demi-siècle de recherches ininterrompues c'est l'aboutissement de l'interprétation génético-moléculaire dans les années 1990 avec le clonage du gène de l'HGO et son identification consensuelle au gène héréditaire AKU postulé par Garrod...
C'est ici que l'on laisse en plan l'élève de première et souvent celui de terminale du fait de la complexité des techniques employées...

Trois exemples de ces publications (non accessibles gratuitement) :
+ The Human Gene for Alkaptonuria (AKU) Maps to Chromosome 3q , S. Janocha, W. Wolz, S. Srsen, K. Srsnova, X. Montagutelli, J. -L. Guénet, T. Grimm, W. Kress and C. R. Müller , Genomics, Volume 19, Issue 1, 1 January 1994, Pages 5-8
+
The molecular basis of alkaptonuria, Fernandez-Canon JM, Granadino B, Beltran-Valero de Bernabe D, Renedo M, Fernandez-Ruiz E, Penalva MA, Rodriguez de Cordoba S (1996) Nat Genet 14:19-24:
+
The Human Homogentisate 1,2-Dioxygenase (HGO) Gene, B. Granadino, D. Beltrán-Valero de Bernabé, J. M. Fernández-Cañón, M. A. Peñalva and S. Rodríguez de Córdoba , Genomics, Volume 43, Issue 2, 15 July 1997, Pages 115-122

Les publications vont se faire dans des revues de génétique (à accès restreint et trop récentes pour qu'on les considère comme documents historiques). Il faut qu'il y ait un consensus sur l'explication génétique et moléculaire pour comprendre l'intérêt de ces résultats. Ce seront de véritables prouesses technologiques. Mais, pour une réflexion sur l'origine de la maladie en dehors du paradigme, il faut remonter au livre de Garrod et certainement à d'autres auteurs... ce qui sera fait par les historiens des sciences une fois que le paradigme moléculaire aura été abandonné (car, actuellement, il est trop tôt et un historien ne saurait pas où chercher les prémisses de ce qui n'est pas encore clair). Pour un théoricien de la biologie, critiquer l'interprétation de ces résultats revient à critiquer 60 ans d'établissement d'un paradigme. On excusera donc l'absence ou le côté imprécis des commentaires.


Les résultats présentés ci-contre viennent de la référence 2 ci-dessus: The molecular basis of alkaptonuria, 1996

Pour le vocabulaire utilisé voir le cours de spécialité sur le génie génétique ou technologie de l'ADN recombinant.

G-banding du chromosome 3 humain
(les positions d'hybridation de la sonde fluorescente (technique de la FISH) de deux clones AKU issus le la base du phage lambda sont notés par des points orange)
(les positions discutées "du" gène de l'homogentisate oxidase sont 3q2, 3q13.3-q21, 3q21-q24, 3q21-q23, ou 3q25-q26 )

Le gène HGO a été d'abord isolé à partir du champignon Aspergillus nidulans qui possède une enzyme, l'hmgA , équivalente à l'homogentisate oxidase humaine (des gènes d'enzymes à activité équivalente avaient déjà été repérés en 1994 chez la souris et cartographiés sur son chromosome 16).

En multipliant et en manipulant ce gène de champignon on a ensuite réussi à isoler par hybridation un fragment d'ADN humain monobrin (ADNc) dans une masse d'ADN extraite d'une cellule humaine et dénaturée. C'est le clonage du gène.

Cet ADNc de l'HGO humaine est alors utilisé (par technique d'hybridation de type Northern Blot) comme sonde pour trouver l'ARNm dans des extraits de cellules du foie, intestin grêle, colon et prostate. On réalise ainsi des profils d'expression montrant que ce gène est actif (transcrit) dans certains tissus.


Enfin l'ADNc est utilisé pour trouver les fragments de l'ADN humain contenant le gène HGO dans une banque d'ADN réalisée à partir du phage lambda.
Pour l'assimilation HGO / AKU la technique de la FISH est utilisée pour localiser le gène sur le chromosome.

Carte du gène HGO (sigle officiel HGD) dans la base de l'OMIM:
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/ entrez/query.fcgi? db=gene&cmd=retrieve& dopt=default& list_uids=3081
séquence du gène:
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/ entrez/viewer.fcgi? db=Nucleotide& dopt=GenBank& val=2130646

séquence de la protéine HGO (les aa sont notés par des lettres)
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/ entrez/query.fcgi? dopt=GenPept&cmd=Retrieve& db=protein& list_uids=2130647
autres enzymes ayant la même activité que l'HGO
http://www.godatabase.org/cgi-bin/amigo/go.cgi? view=details& depth=1& query=4411

Pour valider le modèle monogénétique autosomal récessif, deux familles (14 personnes avec 5 enfants alcaptonuriques) ont été étudiées pour les mutations dans le gène HGO à partir d'ADN extrait des leucocytes* (et donc des tissus qui n'expriment pas habituellement l'HGO alors qu'il aurait été plus logique de le faire sur des tissus n'exprimant pas l'HGO uniquement chez les malades).
Parmi les différences de séquences trouvées seules les deux "mutations" qui peuvent s'expliquer par la formalisation mendélienne ont été rapportées. « The data obtainent demonstrated several nucleotides differences that led to the identification of different HGO alleles.» («Les résultats obtenus montrent plusieurs différences dans la séquence nucléotidique qui peuvent correspondre à différents allèles de l'HGO.»)

famille M



Pour une réflexion sur les mutations voir De la mutation au problème de la variation

Le dépistage de "mutations" (différences mineures de séquence au sein de la séquence du gène HGO) est relativement facile car il se fait automatiquement après séquençage du gène cloné et amplifié (gène partiel du fait de sa taille très importante).
On ne peut qu'être surpris de savoir que toutes les "mutations" n'ont pas été publiées mais seulement celles qui cadraient avec l'interprétation mendélienne figée.

La difficulté majeure reste la relation que l'on souhaite établir avec la "mutation" et l'inactivité d'une protéine. Dans le cas de HGOP230S , cette liaison a été établie en utilisant E. coli comme hôte d'un ADN étranger portant la "mutation" à analyser. Pour HGOV300G elle est juste supposée.
La forte conservation de la séquence de l'ADN entre parents et enfants est un argument insuffisant pour démontrer une relation déterministe entre séquence de l'ADN et activité de la protéine. La fonction locale in vivo de l'enzyme échappe toujours à une connaissance sans contestation possible. L'environnement cellulaire reste non modélisable.

familleS



« Les deux allèles mutés de l'HGO identifiés dans les deux familles atteintes d'AKU furent nommés HGOP230S et HGOV300G. Ils correspondent tous deux à des mutations faux-sens qui modifient des aa qui sont conservés entre l'homme et le champignon. À l'aide d'un système d'expression d'E. coli, nous avons démontré que la substitution d'aa Pro230Ser caractéristique de l'allèle HGOP230S est suffisante pour causer la perte de l'activité enzymatique, ce qui signifie que HGOP230S est un allèle non fonctionnel. Dans l'ensemble ces résultats apportent la preuve expérimentale que les enfants 1 et 3 de la famille M, qui sont des homozygotes HGOP230S sont alcaptonuriques parce qu'ils ne peuvent synthétiser de l'HGO active. Au vu des résultats de la ségrégation des allèles HGO dans la famille S nous prédisons que HGOV300G est aussi un allèle non fonctionnel.»


le sigle officiel est désormais HGD et non HGO mais en 2002 les auteurs utilisent encore HGO...


2.5... mais, contrairement à ce que voulaient nous voir enseigner les concepteurs du programme, il n'y a pas de liaison claire entre génotype et phénotype pour un cas aussi simple que celui AKU / HGD

Pour des données plus récentes (voir site de l'NCBI pour le gène HGD).

Ochronotic rheumatism in Algeria: clinical, radiological, biological and molecular studies--a case study of 14 patients in 11 families, Ladjouze-Rezig A, Rodriguez de Cordoba S, Aquaron R., Joint Bone Spine. 2006 May;73(3):284-92. Epub 2005 Jul 7

Par exemple les auteurs de l'article référencé ci-contre (Ladjouze-Rezig et al., 2006) retrouvent encore l'association de la maladie tant avec les hétérozygotes (ce qui n'est pas compatible avec l'interprétation monogénétique avec une allèle récessif) qu'avec les homozygotes portant des séquences modifiées sans que l'on puisse établir une corrélation entre le génotype et le phénotype.

« Four different mutations of the HGD gene were found: an homozygous missense mutation, Serine189Isoleucine in two sisters with a mild phenotype; an homozygous splice site mutation (IVS1-1G > A) in a man with a severe phenotype (death at 61 years old from renal failure); a silent mutation, Alanine470Alanine at the heterozygous state in a man with a mild phenotype; a 'G' deletion at the position c.819 which causes a frameshift after Gly217(Gly217fs) that runs into a stop codon at c. 850. This mutation is novel and was found in heterozygosis in a woman with a mild phenotype. ...
The two homozygous mutations were associated, respectively, with a severe and a mild phenotype but no genotype-phenotype correlation could be found
(...«mais aucune corrélation génotype-phénotype ne put être trouvée».)


6 ans après l'article historique de 1996 dans Nature Genetics, un article de synthèse, publié dans un journal médical, tentait de faire le point sur les mutations du gène de l'HGO et était arrivé à la même conclusion :

Natural history of alkaptonuria, Phornphutkul C, Introne WJ, Perry MB, Bernardini I, Murphey MD, Fitzpatrick DL, Anderson PD, Huizing M, Anikster Y, Gerber LH, Gahl WA (2002). N Engl J Med 347:2111-21
(http://content. nejm.org/cgi/ reprint/347/26/ 2111.pdf)

Position des mutations des 57 patients/58 cités dans l'article en référence ci-contre dans le gène HGO humain situé sur le chromosome n°3 (bande 3q2). Les bandes verticales oranges correspondent aux exons (régions codantes traduites en chaînes d'aa), les zones noires sont donc des introns (non codantes, excisées lors de la maturation des ARNm ou épissage). Les types de mutations relevées par le séquenceur sont : faux-sens (changement d'aa), non-sens (stop), insertion (ce qui entraîne un décalage de toute la lecture de l'ARNm...), mutation de site d'épissage (splice-site : dans ce type de mutation des nucléotides sont insérés ou délétés juste au niveau des sites d'épissage, ce qui empêche son bon déroulement), délétion (décalage du cadre de lecture).


Figure 5 in http://content. nejm.org/cgi/ reprint/347/26/ 2111.pdf

L'ADN des patients est obtenu à partir du sang complet, les exons sont amplifiés par PCR puis séquencés automatiquement.


Un extrait du même article ci-contre <---)

« HGO Mutations
In 57 patients, at least 1 HGO mutation was identified (GenBank accession number AF045167); 23 of these mutations had not previously been reported (Fig. 5). Forty-six patients were compound heterozygotes. In total, mutations were identified in 104 of 116 alleles (90 percent). There were 3 different nonsense mutations, 24 different missense mutations, 3 different frame-shift mutations, and 5 different intronic mutations resulting in splice-site abnormalities. The mutations involved exons 1 through 13 but not exon 14. Fourteen patients had at least one M368V mutation. Seven patients were also either homozygous or heterozygous for H80Q, which is considered a common polymorphism. We found no correlation between the presence or absence of any type of HGO mutation and either the level of HGA excretion or the severity of disease.»

Tous les malades alcaptonuriques n'ont pas de mutation dans leur gène HGO


« Chez 57 patients [parmi les 58 malades étudiés] au moins 1 mutation du gène HGO fût identifiée...
(...)
«Nous n'avons trouvé aucune corrélation entre la présence ou l'absence d'un type particulier de mutation du gène HGO et aussi bien le niveau d'excrétion de l'HGA que la gravité de la maladie».
Il n'y a pas de lien entre une mutation et les symptômes.

Dans cette étude, comme pour la plupart des autres, l'activité enzymatique de l'HGO reste très difficilement accessible et n'a pas été évaluée. On est en droit de penser que le lien, entre mutation et activité locale de la molécule, reste théorique et n'est pas prouvé, expérimentalement, sauf pour quelques cas qui ne permettent pas de généraliser.

Pour montrer la complexité de ce très grand gène de plus de 50 kb (54.314 bases) voici les marqueurs répétitifs (Alu, SINE (éléments courts), LINE (éléments longs), et transposons LTR et SSR) : certains sont situés dans l'un des 14 exons (en vert plus foncé, les introns étant en vert plus clair et représentant la majeure partie du gène) (in Analyse génétique moderne, De Boeck, 2001, fig.12-14 modifiée)

 

 


Le triomphalisme de la vision moléculaire est-il encore de mise ?
Dans l'article de 1996, les auteurs prédisent la déficience fonctionnelle de l'HGO... il y avait donc une forte présomption de pouvoir prédictif pour le modèle; MAIS, 10 ans plus tard, et malgré l'accumulation de résultats moléculaires de plus en plus sophistiqués, celui-ci ne s'est pas encore vérifié.
L'interprétation monogénétique mendélienne avec des allèles récessifs est aussi fortement invalidée du fait que, si dans le cas général les malades possèdent une ou plusieurs "mutations" de leur gène HGD, les gènes sont aussi bien à l'état "homozygote" qu'"hétérozygote", ce qui est incompatible avec la récessivité d'une interprétation mendélienne.
De plus, 6 ans plus tard, et avec plus de 600 cas étudiés, on n'arrive toujours pas à faire le lien entre des mutations du gène HGD et la gravité de la maladie. Si l'absence de mutation chez un malade est extrêmement gênante du point de vue théorique, ce contre-argument peut évidemment être balayé par la soumission d'une hypothèse de déficiences complémentaires... la biologie théorique moléculaire est pour cela inépuisable en hypothèses invérifiables - même s'il est exact que l'HGD est déjà une enzyme complexe qui agit avec des co-facteurs dans un environnement très contrôlé (et donc avec des facteurs épigénétiques très nombreux).

Remarque:
Illustration (scolaire) ci-contre des incohérences auxquelles les chercheurs sont confrontés:

a et a' désignent deux allèles du supposé "gène de l'alcaptonurie" ou "gène de l'HGD" :
"a" forme naturelle fonctionnelle,
"a'" forme "mutée" supposée non fonctionnelle.

cas 1

Il existe des malades hétérozygotes ce qui est incompatible avec la récessivité de l'allèle muté a'

cas 2

Il existe des individus malades sans mutation dans le gène

 

 

 

par exemple, dans les deux cas présentés ici on peut compliquer le modèle pour expliquer la transmission héréditaire:
- cas 1: un autre gène intervient, qui contrôle le gène de l'HGD et qui est sous une forme non fonctionnelle; du point de vue théorique cela revient à dire qu'il y a un système non plus monogénétique mais digénétique... dans ce cas il faut reprendre tous les résultats connus et les réexaminer à l'aide de cette nouvelle hypothèse...
- cas 2: une autre forme d'alcaptonurie peut être supposée, et pourquoi pas sous un contrôle génétique... dans ce cas cela signifie que l'on a affaire à deux maladies différentes...

Conclusion

Mais ce qui paraît plus important encore, est le fossé qui se creuse, entre les réseaux métaboliques et les modèles structuraux de fonction locale (fonction enzymatique), plus ou moins rigides, mis en place par différentes techniques de la génétique, et les activités mesurées in vivo, qui semblent reposer sur une individualité et une adaptation qui sortent largement du modèle.

Tant que l'on continuera d'enseigner une vision moléculariste sans demi-teintes et donc ERRONÉE en présentant l'AKU-HGD comme un modèle clair et exemplaire de la compréhension de la liaison génotype-phénotype, on s'expose à stériliser tout raisonnement novateur chez nos élèves.


3. Des ouvertures pour comprendre une maladie complexe


Ces quelques lignes, écrites par un enseignant de SVT, n'ont aucune prétention médicale

Au XXIème l'étude génétique devrait repasser au second plan au profit d'une vision plus physiologique: la recherche est toujours ouverte


La complexité des données de la génétique moléculaire a petit-à-petit conduit à abandonner - sans en avoir l'air- l'interprétation mendélienne. On continue d'affirmer que la transmission héréditaire repose sur un gène unique considéré comme autosomal et récessif mais, en fait, on a perdu de vue l'hérédité au profit de l'explication génétique moléculaire qui, étant un paradigme, ne nécessite plus de justification. La transmission héréditaire n'intéresse plus personne. On cherche le ou les gènes moléculaires impliqués dans l'apparition de l'alcaptonurie, leurs relations et surtout les moyens de modifier leur expression.

Pour chaque phénotype (tableau des symptômes d'un patient) on recherche ce que l'on appelle génotype et qui est en fait un séquençage et un typage plus ou moins précis par marqueurs génétiques. On s'efforce ensuite d'expliquer la liaison entre ce "génotype" - plutôt un génotypage moléculaire - et le "phénotype" - ou plutôt les caractéristiques physiologiques et biochimiques individuelles- d'un malade. On fait appel la plupart du temps à des "gènes modulateurs" hypothétiques pour expliquer des "phénotypes" surprenants.
Où est le pouvoir explicatif du modèle ? Prédire la présence de mutations dans un gène alors que la variation génétique moléculaire semble être la règle ?

Pour ce qui est de l'identification du gène héréditaire et du gène moléculaire, la question reste ouverte. L'interprétation héréditaire est cohérente et se suffit à elle-même. Pour l'instant il n'existe pas d'autre théorie héréditaire à ma connaissance.
Par contre l'interprétation moléculaire est loin d'être satisfaisante. Les résultats pour l'HGD laissent ouvertes bien d'autres interprétations que celle proposée: voies métaboliques variées, adaptables par l'individu lui-même, enregistrement dans ses gènes (avec une variabilité individuelle (qui apparaîtrait comme une "mutation" aux yeux des molécularistes) des dynamiques des différentes populations cellulaires ...(voir cours de 1èreS : le
paysage phénotypique) .


A la recherche des populations cellulaires impliquées...


Je sais qu'il est surprenant de proposer d'affirmer que l'alcaptonurie est d'abord une maladie de l'enfance car de nombreux symptômes apparaissent tardivement, surtout au niveau musculo-squelettique ou encore de la peau. Nombre de personnes atteintes d'alcaptonurie sont asymptomatiques avant l'âge de 20-30 ans. Ces symptômes plus ou moins tardifs sont reliés à l'accumulation d'acide homogentisique (AHG) et de son produit d'oxydation l'acide benzoquinone acétique (ABQA).
Mais si l'on s'efforce de comprendre comment les différents symptômes sont reliés entre eux, on peut penser que l'alcaptonurie touche des populations cellulaires qui ne sont pas sans lien au cours du développement: les cellules du foie (hépatocytes
- en sachant que c'est le foie qui est le lieu de l'hématopoièse chez le fœtus), les cellules de la peau (mélanocytes, qui comprennent des cellules claires ("de Masson") et des cellules dendritiques qui dériveraient de mélanoblastes embryonnaires venant des crêtes neurales de l'embryon) et les articulations sans que l'on sache précisément quelle population cellulaire est touchée (mais étant donné d'une part les contraintes importantes auxquelles sont soumises les articulations et d'autre part l'importance du système vasculaire et immunitaire au niveau de celles-ci, il est probable que ce soient encore des populations responsables de l'immunité locale - comme des cellules dendritiques - qui soient ici touchées). On pourrait donc penser que ces populations cellulaires, fortement impliquées dans la fonction immunitaire, seraient les témoins de la maladie précoce.
Par contre les travaux de biologie moléculaire qui ont cherché à localiser les enzymes HGO déficientes ont trouvé des profils d'expression au niveau de foie, du rein, de l'intestin grêle et de la prostate. Ces tissus ne semblent pourtant pas être impliqués directement dans les symptômes invalidants.
Il y a donc en quelque-sorte un fossé, entre le déterminisme métabolique proposé et les observations cliniques, qui mérite d'être souligné.
Une maladie du collagène

L'idée que l'alcaptonurie puisse venir d'un anomalie de développement dans des populations cellulaires synthétisant du collagène est assez naturelle.

L'alcaptonurie est placée dans les maladies du collagène (pour des données sur cette molécule, voir cours de 1èreS). En effet, causant des troubles articulaires à partir d'un certain âge, l'alcaptonurie serait une maladie du collagène dans la mesure où l'HGA bloquerait une enzyme, la lysyl hydroxylase, fragilisant la molécule de collagène devenue ainsi hydroxylysine-déficiente. Mais il serait tout aussi cohérent de penser que les dérèglements sont bien antérieurs et se placent lors de la période embryonnaire.

Diseases of the collagen molecule, C. I. Levene, J Clin Pathol Suppl (R Coll Pathol). 1978; 12: 82-94,
(http://www.pubmedcentral. nih.gov/articlerender.fcgi? tool=pubmed& pubmedid=365897)

Comme les cellules de la peau ont été prises comme exemple dans le cours de première S, il me paraît judicieux de faire des rapprochements entre les connaissances acquises en 1ère et les données de cette page.


Une maladie pigmentaire / une maladie du catabolisme

Les populations de cellules touchées par les formes adultes de la maladie sont celles de la peau et des cartilages. On peut donc essayer de faire un lien entre les phénotypes cliniques des malades et les fonctions de ces populations cellulaires.

Il existe tout d'abord un lien entre les produits du catabolisme (et notamment du catabolisme peptidique) et les pigmentations. Si les fonctions des pigmentations sont nombreuses on cite le plus souvent, d'une part la protection (des rayonnements solaires, camouflage...), et d'autre part le stockage des déchets; la pigmentation devient ainsi une forme d'excrétion de substances toxiques.

Mais il existe d'autres voies formant un réseau. Voici un aperçu de quelques autres maladies métaboliques qui font intervenir la tyrosine.

Même si le modèle de leur transmission héréditaire est parfois contesté et considéré comme complexe maintenant, elles sont toutes été, historiquement, rapportées à la transmission d'un gène autosomique, la maladie correspondant à un allèle récessif.

Les Tyrosinémies I et II sont des maladies métaboliques qui ont été associées à des déficits enzymatiques intervenant dans le catabolisme de la tyrosine.

Une certaine forme d'albinisme (décoloration pigmentaire) peut aussi être reliée à la déficience dans la synthèse de la Dopa à partir de la tyrosine (voir réactions).

4 maladies métaboliques à forte composante héréditaire liées au catabolisme de la tyrosine (d'après Lehninger, p 529, fig 17-26)


Le nom de la maladie est porté en regard de la réaction (ou de l'ensemble de réactions) qui serait déficiente dans la forme morbide. La principale enzyme est indiquée en vert pour chaque étape.